Chronique

Orchestre Franck Tortiller

Shut Up’n Sing Yer Zappa

Label / Distribution : Label MCO

Franck Tortiller qui s’attaque au répertoire de Frank Zappa, rien d’étonnant. Plusieurs raisons à cela : on se souvient que lorsqu’il était en charge de l’ONJ, il s’était intéressé à Led Zeppelin, témoin d’un certain tropisme pour le rock qu’on retrouve ici sur « Montana » où la guitare et la voix de Matthieu Vial-Collet penchent clairement dans cette direction. Par ailleurs, l’instrument de Tortiller, ce vibraphone dont il est virtuose, est un élément central dans la musique de Zappa des années 70, sous la mailloche experte de Ruth Underwood. On ne sera pas surpris dès lors, dans cet enregistrement live, que tout se termine dans un roboratif et très coloré « Andy » où l’on assiste à un bel échange entre père et fils avec Vincent Tortiller à la batterie et toutes sortes de trouvailles très spatialisées bien tenues par la basse puissante de Pierre Elgrishi. Car le goût de l’arrangement est le dernier vecteur zappaïen de l’orchestre Franck Tortiller. Un travail luxueux qu’on avait déjà goûté dans le récent Collectiv.

Il y a de la matière, et les treize pupitres de l’orchestre savent s’en servir, tant dans les tutti de saxophones que dans les enluminures de trompette de Joël Chausse et Rémy Béseau sur « Florentine Pogen », second titre tiré de One Size Feets All, œuvre nourricière de ce Shut Up’n Sing Yer Zappa. C’est dans ce même morceau qu’on dégustera un beau chorus du tromboniste Léo Pellet dans un format qui laisse pourtant davantage de place à l’expression collective de la masse orchestrale. Yovan Girard s’illustre également ici en improvisant un rap, dans le style flamboyant dont il avait fait preuve sur le précédent album de l’orchestre. Les gardiens du temple renauderont peut-être de ce choix, que l’on est en droit de trouver absolument pertinent, puisque le syncrétisme continue et s’intègre parfaitement aux partis pris décidés par Tortiller ; le vibraphoniste est clairement le seul maître à bord, même si l’on perçoit l’influence grandissante de son batteur de fils dans les choix très groove de nombreux morceaux (« Mother People/Igor Boogie », symbole de l’équilibre entre rock et musique écrite occidentale contemporaine).

A l’évidence, le grand format s’amuse, voire jubile dans ce programme : les morceaux sont longs et chauffent comme du diamant (« Brown Shoes Don’t Make it »). Le plaisir est réel, on peut le constater sur la pochette, astucieuse mise en abyme de We’re Only in It For The Money, mais aussi sur la dynamique d’ensemble extrêmement chaleureuse bien que très complexe. On en aura la confirmation sur « Joe’s Garage », pourtant symbole d’une inflexion plus pop du divin moustachu : tous les champs des possibles sont ouverts et citent allègrement les choix de Zappa pour la tournée de 88 [1] dans les arrangements de cuivres… On notera avec une réelle gourmandise l’envolée de soufflants que la formation de Zappa utilisait sur sa reprise de « Stairway to Heaven » : un retour à Led Zeppelin, comme on retombe sur ses pattes ; Fran©k Tortiller a cette grâce féline.

par Franpi Barriaux // Publié le 10 juin 2019
P.-S. :

Franck Tortiller (vib, arr, comp), Matthieu Vial Collet (g, voc), Joël Chausse, Rémy Béseau (tp), Tom Caudelle (eup), Léo Pellet (tb), Abel Jednak, Maxime Berton, Pierre Bernier (saxes), Yovan Girard (vln, voc), Pierre Antoine Chaffangeon (cla), Pierre Elgrishi (b), Vincent Tortiller (dms)

[1The Best Band You’ve Ever Heard in Your Life, NDLR