Chronique

Pierre de Bethmann

Oui

Jeanne Added (voc), Stéphane Guillaume (as), David El Malek (ts), Michael Felberbaum (g), Vincent Artaud (b), Franck Agulhon (dm), Pierre de Bethmann (rhodes, comp)

Label / Distribution : Nocturne

Pour être franc, à la première écoute, le dernier projet à sept du pianiste Pierre de Bethmann provoque une certaine déception – mais ce n’est qu’une illusion auditive. Dès la deuxième écoute, le « oui » s’impose de lui-même. Puis, à la longue, le « oui mais… » reprend le dessus. Car certes, Oui est une excellente idée de titre – on y retrouve peut-être des réminiscences de ce que Nietzsche demandait à l’art : d’être l’approbation, un grand oui à la vie. Cependant l’album est malheureusement trop inégal pour susciter un assentiment sans concession : « Singulier » par exemple commence dans une ambiance inquiétante et évocatrice qui évoque notamment le Chick Corea de Return to Forever pour se terminer sur un jazz-rock des plus classiques.

D’autre part, si Oui rappelle la période 70 de Miles Davis (mais sur quel album de jazz ne pense-t-on pas à Mister Davis ?), Michael Felberbaum à la guitare n’a pas l’inventivité du McLaughlin de l’époque. En revanche, grâce à son Fender Rhodes virtuose, Pierre de Bethmann permet à Oui d’alterner entre le très bon avec « Shena » (titre introductif impressionnant, toujours en mouvement, où tout semble parfait du sax à la guitare, de la batterie au Rhodes qui s’en donne à cœur joie au point qu’on ne sait plus où donner de l’oreille) et le moins bon : la fin de « L’effet tatillon » où le Sextet semble se complaire dans une certaine facilité. Le morceau aurait très bien pu se terminer plus tôt, la fin ne faisant que répéter ce qui s’est déjà « dit ».

Ces quelques longueurs inutiles (la faute sans doute à un plaisir immodéré de jouer ensemble) font aussi le panache du groupe, car il n’est pas question de remettre en cause le talent et les qualités indéniables des sept musiciens. Mais la forme sextet laisse moins d’espace et de liberté à Pierre de Bethmann qui, quand il prend la clé des champs, offre des solos intenses : sur « Oui » par exemple, ce n’est qu’après son intervention que le morceau reprend de plus belle ; en grande forme, il se taille enfin la part du lion. Ses solos - et par là même ceux de David El Malek - sont passionnants et excitants, comparés à la tiédeur de certaines autres mesures. Mais si rares…

Après une première partie plutôt réussie (« Air Courbe » entre autres), l’album s’essouffle un peu sur la fin et la voix de Jeanne Added, plaisante et originale au début, agace quelque peu à la longue, pour cause de trop grande uniformité. Si Oui déçoit, surprend, (é)meut, dérange, tout à la fois, une certitude : il éveille la curiosité et donne envie de vivre un concert de cette formation, à l’écoute par exemple des confusions finales réussies sur « Exo » ou du solo de sax ténor sur « Alteration », final excitant et « groovy ». Et l’on se dit, sur « Silnes », que le groove va mieux au teint de Bethmann.

On lisait il y a peu dans Jazz Magazine, à propos de Lee Morgan, qu’il appartenait à la bonne époque où l’on privilégiait la qualité par rapport à la quantité. Le problème de Oui est de vouloir concilier les deux. La qualité est bel et bien là, mais la quantité fausse le jeu : plus court l’album n’aurait peut-être pas autant étalé ses ficelles au grand jour. Moralité : Pierre de Bethmann est un excellent pianiste, un grand improvisateur, un compositeur intéressant, mais il a peut-être les doigts trop rapides pour son souffle…