Chronique

Pink Monads

Multiples Visions of The Now

Edith Steyer (cl, objets), Céline Voccia (p), Marialuisa Capurso (voc, fx), Sofia Borges (dms, perc)

Label / Distribution : 4AD Records

Sans sombrer dans la métaphysique de Leibniz ou de Giordano Bruno [1], les monades sont le multiple qui constitue l’Un. On pensera à Robert Silverberg et ses Monades Urbaines pour comprendre le nom de Pink Monads, orchestre européen et totalement féminin qui révèle quatre des plus intéressantes improvisatrices du moment : un instant de poésie pure et pleine de vie, mené par la voix envoûtante de Marialuisa Capurso, déjà aperçue auprès de Jean-Marc Foussat, qui brûle de mille feux. Ainsi dans « Identity Issue » où l’on pense à des vocalistes comme Isabelle Duthoit ou Elise Dabrowski. Dans ce morceau, la mécanique est intraitable : la clarinette d’Edith Steyer tresse une trame complexe avec le piano de Céline Voccia, véritable architecte de labyrinthe. Si l’on ne présente plus la seconde [2], la première est à suivre attentivement. Pur produit de la scène berlinoise, Edith Steyer a notamment joué avec Theo Jörgensmann.

Pour compléter le quartet, on retrouve la percussionniste portugaise Sofia Borges, qu’on a pu entendre ces derniers mois avec la saxophoniste Camila Nebbia. La précision n’est pas inutile, tant les prémices de Multiples Visions of The Now témoignent d’une certaine sororité avec les orchestres de l’Argentine. Une vision moins colérique, peut être, dans « Saadya » que la clarinette caresse comme un vent chaud pendant que montent quelques chants méditerranéens, mais grâce à Borges une constante entêtante où Céline Voccia fait parler toute la puissance de sa main gauche. Ce morceau, comme d’autres de l’album, est puissant et tourmenté : il monte comme un orage sous la férule de la pianiste avant de se rendre au silence. Dans l’échange permanent des musiciennes, il y a des instantanés, comme « Who Controls The Country » où Capurso prend les devants, et des titres qui s’installent, tel « Retrospection » où chaque son nourrit un récit, dans un dialogue très riche entre percussions et piano qui reste le liant de ce très bel orchestre.

C’est incontestablement Marialuisa Capurso qui est le détonateur de ce disque : elle détermine des couleurs, elle induit des lieux, fussent-ils imaginaires. Sur « Le Vent s’est levé (sans soucis) » comme dans « Rhapsodia Pneumatica » précédemment, son chant évoque par instants les traditionnels italiens, avant de les laisser se perdre dans le tumulte. L’énergie du quartet est magnifique, surprenante. On ne se lasse jamais d’un tel album.

par Franpi Barriaux // Publié le 3 septembre 2023
P.-S. :

[1On m’en remerciera en 2500 signes.

[2Voir notre interview.