Chronique

Régis Huby 4tet

Equal Crossing

Régis Huby (vln, el vln, elec), Marc Ducret (g), Bruno Angelini (p, elp, Moog), Michele Rabbia (dms, perc, elec)

Label / Distribution : Abalone / L’Autre Distribution

Il y a quelque temps encore, Régis Huby était un fantastique violoniste de jazz.
Il l’est toujours, bien sûr, mais plus seulement.

Régis Huby est devenu en quelques années un producteur incontournable, et ce sur deux tableaux : le producteur qui décide de créer ou soutenir des projets, assurant souvent le conseil ou la direction artistique, et le producteur qui met en forme la musique, façonne le son d’un groupe. Il a donc des violons, un label, et tout un attirail de pédales qu’il utilise pour permettre à son instrument, en plus de son rôle initial, d’être à l’origine de sons englobants qu’il utilise dans un travail de fond impressionnant qui rend sa démarche unique.

Si la longue suite que représente Equal Crossing est en elle-même splendide, il y a sur ce disque un travail de répartition de la masse sonore entre les membres du quartet qui relève de la sorcellerie. De façon surprenante, les rôles des claviers de Bruno Angelini, de la guitare de Marc Ducret et du violon sont interchangeables. L’écriture est donc servie à parts égales par les trois musiciens, qui entrelacent des riffs complémentaires autour d’une même trame, multipliant par là même la force de ces tourneries sur lesquelles les solistes peuvent aisément se dégager puisque leur fonction reste assurée par deux autres instruments. Il découle de cette démarche une forte impression d’opulence, peu courante sous cette forme dans le jazz. Cette démarche de production semble plus héritée du rock ou de la soul, mais ici transposée dans l’univers personnel d’Huby, qui parvient à faire une synthèse toute personnelle des influences multidirectionnelles qui le nourrissent.

Le disque allie donc le jeu, que les remarquables improvisateurs dont il s’est entouré développent avec gourmandise, et le soin porté aux détails de forme, à la plastique d’un son d’ensemble idéalement spatialisé tout en restant organique. Les rythmes et fantaisies percussives de Michele Rabbia s’inscrivent eux aussi dans cet équilibre, avec pour le batteur-percussionniste un recours pertinent aux effets lui permettant de disposer çà et là quelques tintements et dispositifs percussifs oniriques en complément d’une pulsation qu’il entretient avec élégance selon les besoins des parties jouées.

On retrouve au long de ce voyage sonore les modes de jeu par lesquels le violoniste aime à exprimer sa musique. Il y a ces parties atmosphériques, tout en délicatesse, où la moindre intervention, d’où qu’elle vienne, est un poème à elle seule. Ces lentes montées en puissance où les motifs répétitifs font office de rampes de lancement, et les épisodes relâchés, ici souvent portés par des dynamiques explicites, avec des grooves entêtants et des envolées collectives épiques. Faite d’inspirations et d’expirations, comme une respiration vitale, la musique cinématique du quartet est tout simplement magnifique ; il faut l’écouter, et aussi aller l’écouter. Car si le studio sied aux intentions esthétiques du violoniste, le quartet parvient, allez savoir par quel miracle, à déployer en live un éventail également étendu de moyens expressifs, et une gamme tout aussi large de sonorités magiques.