Chronique

Rick Countryman trio

Empathy

Rick Countryman (as), Simon Tan (b), Christian Bucher (dm)

Label / Distribution : FMR-Records

Empathy est un titre qui résume bien la logique de Rick Countryman, sa philosophie de la musique. C’est à la fois le titre de l’album et sa première pièce. On y retrouve le don à l’autre et la gratitude de recevoir. C’est un morceau saisissant, commençant par un chant au lyrisme intense, puis laissant toute la place à ses partenaires, recevant de leur part des éclats lumineux, ciselés, avant de les retrouver avec ce mélange d’osmose et d’identité, chacun apportant sa propre saveur. La qualité de la prise de son vient souligner ce plaisir inaugural.
Temperance me semble relever de l’antiphrase. Après un thème plutôt charmeur, le discours se révèle tortueux, en un flot à l’inspiration quasi continue, dans la plus belle tradition du free. On y retrouve l’espace important laissé au duo infernal basse-batterie avant la fusion terminale.

C’est que pour Rick Countryman, ses partenaires, c’est l’essentiel. Avec lui, vous avez le choix du batteur : Sabu Toyozumi ou Christian Bucher. Le premier est une vraie légende vivante. Le second s’est bâti une réputation d’excellence parmi les batteurs d’avant-garde.

Dans cet album, c’est ce dernier qui officie aux baguettes. Il a apporté ses roulements, ses mitrailles, ses galops, ses frappes qui évoquent des souvenirs, les renouvellent et s’en éloignent bientôt, et d’autres encore. Il les assemble en de véritables discours. Ils doublent, miment parfois, s’enchevêtrent, bousculent celui de l’instrumentiste avec qui il dialogue, ou dégagent des espaces. C’est ainsi que dans la 3e pièce, « Outside The Context », Christian Bucher prend d’emblée le trait, déploie ensuite avec Rick Countryman puis avec Simon Tan (b) ses phrases incisives, ses récits fougueux, quasi épiques. À cette occasion, le bassiste se révèle comme un redoutable débatteur, infatigable, s’exprimant avec force, la repartie au bout des doigts.

On retrouve d’ailleurs ce dialogue basse-batterie dans la pièce suivante, « The Snowman », cette fois sur un rythme lent, tout en douceur intime, les caresses des cymbales et les confidences de la basse.
C’est encore ce même dialogue qui ouvre « The Struggle for the Relevance », sombre, sobre, rejoint par un alto à la désespérance aiguë. Des lacérations à l’archet, une batterie caméléon se fondant dans les deux autres discours ou martelant inlassablement l’espace. Un grand tremplin pour le chant sensuel, rauque, éraillé et poignant au sax. Peut-être la pièce qui vient le plus chatouiller nos neurones à vif.

Ce tandem basse-batterie est souvent à l’œuvre pour l’ouverture des différentes pièces, comme si Rick Countryman voulait profiter de la belle complémentarité de Simon Tan et de Christian Bucher, soit pour installer un paysage sonore dans lequel son chant peut s’épanouir, soit pour laisser une large place à ce « dialogue soliste ». Et cette alchimie fonctionne remarquablement. C’est ainsi que « Gray Inside Blues » vient clore avec brio cet album particulièrement réussi.

La qualité des deux batteurs déjà cités et les nombreux enregistrements avec chacun d’eux permettent de situer Rick Countryman dans la profession et auprès de certains chroniqueurs (voir Wikipedia). Il a acquis la réputation d’un musicien de premier plan, même s’il s’est « exilé » à Manille et qu’il est loin des circuits des concerts. On lui reconnaît un lyrisme puissant et fluide, totalement immergé dans l’aventure du free qu’il sait revivifier. Il semble par ailleurs de plus en plus engagé dans la complexification des matières sonores, des irisations des couleurs. On peut observer cette trajectoire entre les premières pièces, Empathy et Temperance au chant ample et puissant, pièces qui frôlent parfois le bop, sa verve, ses rythmiques, et les dernières pistes aux granulations stratifiées. Hasard de l’organisation de l’album ? Peut-être, peut-être pas.

Il y a là une joie de jouer qui se libère sans entrave, et un plaisir sans mélange de retrouver des « frères en crimes » avec qui tout est possible.

L’album est publié chez FMR Records, FMRCD555. Disponible en France pour 17,6€ frais de port compris. Voir là. Comptez un petit délai pour l’acheminement.
Pour les impatients, il y a depuis fin janvier, une diffusion via BandCamp. Pour y goûter, acheter (10$ plus les taxes, disons 12€) et pourquoi pas s’abonner aux futures sorties de Rick Countryman (là, c’est gratuit)