Chronique

Stéphane Payen

Baldwin en transit

Jamika Ajalon (vx), Mike Ladd (vx), Tamara Walcott (vx), Marc Ducret (g), Sylvaine Hélary (fl), Stéphane Payen (as), Dominique Pifarély (vln).

Label / Distribution : Jazzdor Series

Le saxophoniste Stéphane Payen fait valoir ses talents de compositeur en adaptant librement le travail de l’écrivain James Baldwin (1924-1987), auteur de romans, de poésies et de pièces de théâtre sur les minorités dites de race, sexuelle et de classe, qu’il a lui-même vécues dans sa chair (né dans une famille afro-américaine pauvre, Baldwin est homosexuel).

À partir d’un petit dispositif à deux dimensions, Payen présente un hommage qui ne se contente pas de reprendre platement l’écriture de l’Américain. Trois personnalités, en effet, pratiquent une poésie orale, slam ou spoken word, et convoquent librement et à leur manière les thèmes de l’auteur pendant que, leur servant de support, un quartet interprète les compositions du saxophoniste.

Mike Ladd, Jamika Ajalon, Tamara Walcott s’interpellent avec une fermeté dans l’intention et une douceur dans l’interprétation. La langue anglaise mise en bouche évoluant de l’un·e à l’autre est le moyen d’instaurer des dialogues et des effets de contrastes qui fonctionnent. Évitant le piège d’un hip-hop basique, ils sont au contraire dans une sorte de prosodie libre qui confère de la souplesse à leurs interventions et une correspondance avec la musique.

Cette dernière, là encore, ne joue pas la carte de la référence artificielle. Ni rhythm’n’blues, ni soul, ni rap mal venus parce que mal digérés, plutôt un style contemporain dont la légèreté n’empêche pas une part de mystère et inscrit le processus global dans un climat serein et mesuré. En ce sens, les cordes de Dominique Pifarély, la flûte de Sylvaine Hélary, doublés souvent par l’alto de Payen ou encore la guitare plus louvoyante de Marc Ducret, induisent une atmosphère où une inquiétude profonde se mêle à un confort sonore enveloppant.

À l’articulation du sens des mots et du sens des sons, cette mécanique hybride ne privilégie en fin de compte aucun de ces deux canaux ; elle les laisse intelligemment se trouver ou s’éloigner dans un croisement qui valorise les propos tenus par les uns et les autres ; en réalité, elle met en scène un petit oratorio intellectuel d’une grande qualité.

par Nicolas Dourlhès // Publié le 7 janvier 2024
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