Scènes

Stéphane Tsapis : le melting-pot des amitiés

Concert au Studio de l’Ermitage le 10 décembre 2019, pour la sortie d’albums : Le Tsapis volant et Le Piano Oriental.


Le Tsapis Volant - Alice Leclercq

En deux heures d’un périple polyglotte sur un piano lui-même « bilingue », le pianiste franco-grec, expansif, fait la part belle aux voix féminines et célèbre les amitiés qu’il a nouées dans ce Paris multiculturel.

Sur la scène du Studio de l’Ermitage trône un Yamaha quart de queue blanc, transformé en Yamaha « quart de tons ». Un piano transformé en piano oriental, un « piano bilingue ».

La salle est archi comble, mezzanine comprise, en pleine grève des transports parisiens. « Le Tsapis volant a fonctionné pour vous amener jusqu’ici, vous avez bravé les problèmes » nous remercie Stéphane Tsapis, chapeauté d’un feutre de couleur cramoisie tandis que son cousin du même coloris, un tarbouche posé sur le rebord du piano, capte notre attention.

Clip Le Tsapis Volant - Alice Leclercq

« Mes deux albums seront mélangés en une seule soirée », précise le pianiste franco-grec, ce qui nécessite pour le spectateur de connaître le contexte et de savoir que Stéphane a sorti en novembre deux œuvres : Le Tsapis Volant, un album en grande formation, d’une part, et Le Piano Oriental, en solo, d’autre part.

Ce deuxième album sert de support au spectacle musical, conté et dessiné que Stéphane joue depuis deux ans avec la dessinatrice et conteuse Libanaise Zeina Abirached. Zeina y conte et y dessine, sur la musique créée par Stéphane, l’histoire de l’invention de son arrière-grand-père Abdallah Chahine. Dans les années 50 à Beyrouth, Abdallah Chahine avait en effet réalisé un piano prototype hors du commun qui permet à la fois de jouer la musique orientale à quarts de ton et la musique tempérée occidentale.

Ce mélange des deux albums va se révéler très généreux en durée avec un Stéphane à la manœuvre, expansif, qui introduit chaque pièce jouée et ajoute des anecdotes sur les invité(e)s qu’il convie sur scène pour chacune d’entre elles.

Quant à ce piano blanc dont Stéphane va jouer ce soir, un peu de patience … Nous en apprendrons l’histoire à la fin de ce concert qui prend la forme d’un creuset de cultures, d’un voyage au fil des amitiés multiculturelles qu’il a nouées et entretenues depuis 19 ans.

Stéphane Tsapis & friends - Alice Leclercq

On vous déroule le fil.

Le noyau dur, constitué par le trio de Stéphane Tsapis avec Marc Buronfosse à la contrebasse et Arnaud Biscay à la batterie, introduit le concert avec la pièce « Abdallah Kamanja ». L’occasion pour Stéphane de souligner que le trio existe depuis 2014, d’une part, et que le titre fait référence au double dessiné d’Abdallah Chahine, le génial inventeur, aïeul de la dessinatrice.

« Nous bifurquons vers le spectacle, je change donc de chapeau » : Stéphane troque son feutre contre le tarbouche, invite Zeina Abirached pour dessiner au pied de la scène un extrait de son roman graphique du Beyrouth des années 50, projeté sur vidéoprojecteur, tout en créant lui-même des boucles avec son piano préparé.

L’extrait du spectacle dessiné s’arrête là et nous repartons dans l’instrumental avec l’arrivée de Neşet Kutas au bendir. Un morceau traditionnel grec se conclut en quartet tout percussif avec la frappe de Stéphane au piano, Marc sur le bois de sa contrebasse et Arnaud à la batterie.

Les vocalistes féminines sont invitées à tour de rôle : d’abord Cybèle Castoriadis sur une reprise du « Tapis magique, » puis sur « Neblina » (« La Brume ») dont les paroles ont été écrites par deux chanteuses colombiennes présentes sur l’album mais pas ce soir. « Je retire mon tarbouche parce qu’on passe en Amérique Latine Je remets l’autre chapeau même si ce n’est pas un panama », s’amuse le pianiste.

Après le Liban, la Grèce et l’Amérique latine, nous partons « à mi-chemin entre Japon et France » avec Maki Nakano, clarinettiste et chanteuse « rencontrée il y a dix-sept ans dans une jam session à Paris ». La japonaise chante « J’ai deux amours » puis « Le Vent vient de loin » sur lequel elle a écrit un format haïku.

Pour un nouvel extrait du spectacle musical dessiné du Piano Oriental, Zeina revient dessiner devant nous à l’encre noire la floraison d’un arbre, en nous contant que vues du Liban, la France et l’image d’un marronnier d’une cour d’école lui semblaient à l’époque rassurantes.

le Yamaha quart de queue transformé en Yamaha quart de tons

Si le concert de ce soir est manifestement construit, dans le melting-pot des amitiés qu’il met en scène, on ne peut pas dire qu’il nous remue émotionnellement – nous personnellement, spectateur mais non porteur de ces histoires d’amitiés et de voyages - ceci jusqu’aux trois pièces suivantes, celles qui captent toute notre attention.

Le morceau de bravoure intitulé « Victor Challita », d’abord, du nom d’un copain d’Abdallah, offre un up tempo échevelé en quartet avec Neşet Kutas au darbouka et met en valeur la vélocité vocale de Lynn Adib - une jeune chanteuse que Stéphane a rencontrée lors d’une jam session orientale à Paris.
Un superbe morceau de jazz instrumental en trio, ensuite, intitulé « Sultan-i yegah », un traditionnel ottoman arrangé par Stéphane, constitue pour nous la plus belle pièce de la soirée.

Enfin, nous restons en Anatolie avec la chanteuse turque Gülay Hacer Toruk – la voisine de Stéphane à Saint-Ouen. Parmi les vocalistes ce soir c’est clairement celle qui nous touche, par son chant planant sur une seule note de contrebasse tenue à l’archet puis rejoint pour un développement qui se densifie en quartet.

Stéphane Tsapis - Bruno Charavet

C’est le moment que choisissent Stéphane et Zeina pour nous raconter l’histoire du piano blanc, « le Yamaha quart de queue transformé en Yamaha quart de tons » : Zeina était invitée en 2017, à participer à un festival à Tournai. Le transport du piano oriental conçu par son aïeul à Beyrouth étant hors de prix, le Belge Luc-André Deplasse a relevé le défi de créer un prototype jumeau du piano d’Abdallah Chahine. L’invention existe désormais en deux exemplaires, une au Liban, l’autre en Belgique. C’est sur le piano oriental de Luc-André Deplasse que jouait ce soir Stéphane.

Cet intermède a laissé le temps à Gustavo Almenara et Andreas Petrakis d’arriver in extremis dans la salle – il était moins une – pour nous projeter en avant-première l’épatant clip animé qui sera prochainement mis en ligne. Stéphane nous explique que l’équipe a conçu une maquette de la chambre très décorée dans laquelle le pianiste joue en observant par la fenêtre et y a filmé en travelling.

Un final sous forme de fresque musicale en cinq langues permet de rassembler l’ensemble du plateau : le quartet, les quatre chanteuses et Zeina qui dessine en direct le Tsapis Volant.

par Alice Leclercq // Publié le 26 janvier 2020
P.-S. :

Merci à Bruno Charavet pour la photo du « piano bilingue » prise depuis la mezzanine.