Chronique

Surnatural Orchestra

Tall Man Was Here

Label / Distribution : Autoproduction

On attend souvent du Surnatural Orchestra un disque politique. Ce n’est pas à entendre comme un passage obligé, un totem militant qui viendrait convaincre les convaincus. C’est davantage quelque chose qui tient à leur façon de faire, à leur façon d’être. À l’adhésion, dans son sens propre, à une vision de l’œuvre et du collectif qui existe depuis toujours dans cet orchestre sans direction établie et aux paradigmes libertaires. C’était vrai dans Sans tête, qui vit ses onze ans sans une ride, davantage encore pour Profondo Rosso, l’œuvre la plus aboutie jusqu’ici. Depuis, des spectacles vivants, circassiens et poétiques, de l’humanophone aux esquifs. Toujours la même créativité, le même élan graphique et un goût pour les arrangements subtils où les soufflants règnent en maîtres. Tall Man n’échappe pas à cette confection artisanale et à son positionnement qui n’est nullement une posture ; en témoigne « Retreat », hymne tendu où le trombone basse de Judith Wekstein comme le sousaphone de Fabien Debellefontaine et le baryton de Morgane Carnet, trois têtes de l’ONJ Maurin, bâtissent une ligne basse en commun avec les claviers de Boris Boublil.

On retrouve le goût du Surnat’ pour les thèmes cinématographiques, et pour l’image en tant que telle. « Retreat » où brille la flûte de Fanny Ménégoz , comme la « Tarantella Ally-Pally » aux atours felliniens qui dansent telle une fête retrouvée, sont de petites bandes-sons pour l’imaginaire. Pour ce dernier morceau, où la trompette d’Antoine Berjeaut mène la (sara)bande, on entre pleinement dans le propos du disque. Tall Man Was Here est une métaphore de la lutte contre le pouvoir, ce « grand homme », ce sinistre Scaramouche au pied d’argile qu’un peu de lumière et de beauté renverse. Dans la joie pétulante de la tarentelle, l’orchestre jubile collectivement avec une rare gourmandise. C’est logique : « Tall Man is Dead », avec force décorum, comme ce chœur puissant qui fait trembler les pierres, vite balayé par une tourneries emprunté à la pop, où le batteur Emmanuel Penfeunteun règle la mitraille. On pourrait penser que l’histoire est linéaire, réglée avec l’orfèvrerie jalouse des conteurs d’histoires vraies. Mais de la même façon qu’au travers d’une mélodie méticuleuse percent parfois les râles d’un saxophone colérique, Le Surnatural Orchestra n’aime rien tant que les puzzles et les jeux de pistes, les récits morcelés et les allusions cryptiques, parfois sous la plume du tromboniste Hanno Baumfelder.

Tall Man est un concept, né d’un spectacle vivant que la pandémie et l’incurie, comme pour mieux illustrer le propos du disque, auront momentanément réduit au silence. Dans une boîte en bois marquée à la craie, comme pour mieux nous rappeler que tout est éphémère, le disque offre beaucoup de surprises inspirées des œuvres de la plasticienne Elizabeth Saint-Jalmes [1]. Il explose comme des petites bulles indépendantes, pleines de résistances éphémères, à l’image de « Yusef » et son « énergie de tout recommencer », comme une craie sur un bloc de bois. Mais c’est encore dans « Tall Man is Dead » que la philosophie générale du disque est la mieux résumée, et c’est peu dire qu’elle fait du bien dans la bouche de Clea Torales qui cite Pessoa : « Faire de l’interruption, un nouveau chemin. Faire de la chute, un pas de danse. Faire de la peur, un escalier. Du rêve, un pont. De la recherche, une rencontre. ». Un moment chaleureux comme seul, sans doute, les musiciens du Surnatural Orchestra savent nous en offrir.

par Franpi Barriaux // Publié le 28 février 2021
P.-S. :

Judith Wekstein (btb) François Roche-Juarez, Hanno Baumfelder (tb, voc), Fabien Debellefontaine (sousa) , Cléa Torales (as, fl, voc) Fanny Ménégoz (fl, pic, voc), Robin Fincker (cl), Guillaume Christophel (ts, cl, bcl, voc), Fabrice Theuillon, Morgane Carnet (bs), Nicolas Stephan (ts, voc), Camille Secheppet (as, bs, cl), Basile Naudet (as), Jeannot Salvatori (as, voc), Julien Rousseau, Pierre Millet (tp, flh, euph), Antoine Berjeaut (tp, cla, flh), Boris Boublil (g, cla, p, voc), Sven Clerx (perc), Emmanuel Penfeunteun (dms) + Le petit choeur de Faux La Montagne

[1On ne peut que conseiller d’aller jeter un œil à sa série Masques, si pertinente de nos jours.