Chronique

Szakcsi Lakatos / Monniot / Horváth / Balázs

Density of Standards

Christophe Monniot (as), Béla Szakcsi Lakatos (p), Jószef Barcza Horváth (b), Elemér Balázs (dms)

Label / Distribution : BMC Records

Treize ans après La Manivelle magyare enregistré à Budapest avec La Campagnie des Musiques à Ouïr, acte fondateur de la collaboration de Christophe Monniot avec le label Budapest Music Center, Density of Standards marque à la fois un retour et un changement. La nouveauté est immédiatement visible : aucune composition du Normand sur ce disque entièrement dédié au patrimoine. Pas trace non plus de ses compagnons habituels sur le label, Miklós Lukacs ou Gabor Gadó. Quant à l’appel du passé, il s’agit justement d’un retour de Manivelle. Le pianiste Béla Szakcsi Lakatos, légende du jazz hongrois qui se mêlait au disque de la Campagnie retrouve Monniot pour une aventure aux dehors plus sages. Mais, c’est acquis, il faut se méfier du confort supposé des standards et de l’usage qu’on fait de ces codes connus de tous.

« Autumn Leaves », qui débute sur l’effleurement de la caisse claire d’Elemér Balázs comme la langueur d’un été qui s’éternise, en témoigne. Sur ce sentier rebattu, même si le thème est exposé rapidement, l’alto acide de Monniot vient mordre un piano qui joue avec une certaine douceur, toujours pastel, loin des attaques main gauche qu’on avait pu connaître lors de son solo Live at Budapest Jazz Club. Certes, les standards servaient également majoritairement de terrain de jeu, mais grâce à la présence de Monniot, Szakcsi se libère du rôle du dynamiteur et se permet même des instants de dialogue d’une grand douceur (« Over The Rainbow ») avec le contrebassiste Jószef Barcza Horváth, qu’on a pu entendre récemment avec Frank London. Avec le jeu très coloriste de Balázs, autre grand nom de la scène magyare, la base rythmique de ce quartet offre une large palette de couleurs et de timbres, notamment dans le caniculaire « Summertime », hérissé de rocaille par le saxophoniste.

Pour Béla Szakcsi Lakatos, Density of Standards est en quelque sorte une réponse symétrique à son quartet américain avec qui il avait publié Climate Changes. Entouré d’Européens nourris de musique écrite occidentale et de traditions d’Europe Centrale auxquelles Monniot est plus qu’acculturé, il se sert du langage véhiculaire des standards pour affirmer une belle universalité. Elle se caractérise à la fois par des improvisations pleines de respect mais joliment iconoclastes, à l’image du pétillant « Green Dolphin Street » qui scelle l’entente parfaite entre Monniot et Balázs. La densité est là, dans ce sentiment que le matériel choisi pour improviser a beau avoir été troussé par des générations de jazzmen, il reste encore de nombreuses galeries à explorer. On s’étonnera un peu de ne pas y trouver « Blue In Green », depuis longtemps la madeleine de Szakcsi, mais la jubilation que procure la sensation charnelle de « Body And Soul » le fait vite oublier.