Tribune

Mátyás Szandai (1977-2023)

Le contrebassiste hongrois s’est donné la mort le 28 août 2023.


Contrebassiste reconnu au niveau international, vivant entre la Hongrie et la France, Mátyás Szandai s’est donné la mort dans sa maison familiale en Hongrie le 28 août 2023. Musicien fréquemment présent dans les articles du magazine, il était membre du trio de Paul Lay (avec Donald Kontomanou à la batterie) qui signe ce premier texte in memoriam.
Il avait aussi enregistré sur le label du Budapest Music Center dont le directeur artistique Tamás Bognár signe un second hommage.

Mátyás Szandai

"Mátyás Szandai est un musicien rare avec qui j’ai eu la chance de jouer depuis plus d’une décennie et plus particulièrement ces trois dernières années. Et particulièrement intensément ces derniers mois. Avec lui et Donald Kontomanou, nous avons tous les trois sillonné de nombreuses routes encore cet été, jusqu’à ces derniers jours.
Archie Shepp, François Jeanneau, Yohann Loustalot, Emil Spányi, Uri Caine, Hugues Maillot, Fabrice Moreau et tant d’autres amis musiciens ne s’étaient pas trompés en le prenant à leurs côtés.
On croise rarement dans sa vie un musicien de cette qualité. Mátyás pouvait tout jouer et il jouait tout excellemment bien, avec justesse et à-propos. Engagé dans chacune de ses notes, son obsession était de servir le collectif, au service de ce que la musique appelait. D’une humilité exceptionnelle, ses doutes stimulaient sa créativité et il avançait à pas de géant.
Il continuait à travailler son instrument quotidiennement avec la plus grande discipline (Suites de Bach, standards, musique contemporaine, morceaux aux polyrythmies avancées avec une facilite déconcertante) avec joie, humour, sérieux et invention.
C’est ce que j’admirais particulièrement : sa rigueur et sa régularité dans le travail de son instrument, patient et attentif. Il restait curieux et passionné par toutes les musiques. Un immense musicien et ami nous quitte.
Mátyás, je n’oublierai jamais ta contribution humaine et musicale à tes côtés.
Mes pensées les plus affectueuses vont à Anna et Rosie.
Paul Lay, pianiste.


Mátyás Szandai

Le décès prématuré de Mátyás Szandai a causé une grande perte dans le monde du jazz hongrois et européen. Le bassiste de 46 ans était un véritable maître de son instrument, comme en témoigne le fait qu’il ait participé à 23 albums de BMC Records, ce qui lui permet de figurer sur le podium des musiciens les plus impliqués du label.

Notre relation professionnelle et notre amitié ont débuté en 2001, lorsque nous avons apprécié pour la première fois le jeu de Mátyás sur l’album Homeward de Gábor Gadó. Des productions inoubliables ont suivi, avec les plus grands acteurs du jazz hongrois et des stars internationales. Cette liste extrêmement impressionnante est loin d’être exhaustive : Elemér Balázs Group, Mihály Dresch Quartet, Viktor Tóth’s Trio and Quartet, Kristóf Bacsó Quartet, Dániel Szabó Trio, les groupes de Kálmán Oláh et Miklós Lukács ; et des artistes de la scène internationale comme Archie Shepp, Charlie Mariano, Chris Potter, Hamid Drake, Perico Sambeat, Christophe Monniot, Manu Codjia, Michael Schiefel, Mathias Lévy ou Nelson Veras.

Mátyás a également contribué à d’innombrables autres grands albums publiés par différents labels, et s’est produit avec des icônes telles que David Murray, Pat Metheny, Herbie Mann, Chico Freeman, Rosario Giuliani, William Parker, Kurt Rosenwinkel, Gerard Presencer, Flavio Boltro, Zbigniew Namysłowski et, au cours de la dernière décennie, pendant son séjour en France, Michel Portal, Daniel Humair, François Jeanneau, Paul Lay et Naïssam Jalal.

Mátyás a quitté Paris il y a quelques années et s’est installé sur les rives françaises du lac Léman, où il a joué avec son vieil ami musicien Emil Spányi et développé ses projets d’enseignement. C’est là, à la Haute École de Musique de Lausanne, qu’il a obtenu un master en pédagogie après un master en interprétation. « Il avait une excellente veine pédagogique, il dispensait le programme avec beaucoup de sensibilité. À Paris, il n’a accepté qu’un petit poste au conservatoire afin d’acquérir de l’expérience dans l’enseignement », raconte Csaba Palotai, guitariste vivant dans la capitale française. « Il me rendait souvent visite dans la dernière période, et nous parlions toute la nuit de la musique de Schönberg ou de Bach. Il avait l’intention de faire aussi la section de basse classique ».

« Il voulait toujours en savoir plus et profiter de chaque instant. Pendant nos tournées, tout le monde s’asseyait dans le bus, mais Mátyás n’arrêtait pas de poser des questions à ses collègues musiciens qui avaient une grande connaissance de quelque chose, que ce soit l’œuvre de Messiaen ou le monde rythmique de la musique de l’Inde du Sud. Il voulait tout comprendre de la musique. Je n’ai jamais connu une personne comme lui qui était aussi motivée par la soif de savoir », se souvient son ami musicien András Dés.

« Il a joué dans de nombreux projets et dans des lieux illustres. Il était aimé et respecté en France comme il l’avait été chez lui. Puis il a reçu de plus en plus d’invitations à participer à des sessions dans d’autres pays d’Europe », poursuit Csaba Palotai. « Il n’y a jamais eu de tâche qu’il n’ait pu résoudre, aucune difficulté ne l’a découragé, sa carrière ici s’est très bien développée et a continué à progresser. Il était bien connu, par exemple, qu’Archie Shepp l’appelait régulièrement, car Mátyás était son bassiste numéro un ».

Mátyás vivant à l’étranger, la relation étroite avec BMC s’est quelque peu relâchée ces dernières années, mais deux disques importants ont tout de même été produits, dont l’un est notre favori personnel de 2018, Bartók Impressions, un best-seller enregistré avec Miklós Lukács et Matthias Lévy, qui a reçu de nombreux prix. Ces dernières semaines, nous avions commencé à planifier l’enregistrement de la suite de cet album avec Mátyás.

En 2019, nous avons publié le premier album de Mátyás Szandai contenant ses propres compositions, interprétées par son quatuor international. En ce qui concerne le titre de l’album SĀDHANA, Emese Szász a écrit dans le texte du livret du CD : « Pris littéralement, il signifie : sa = infini, dha = méditer, na = négation, mort. En d’autres termes, dans la méditation, l’ego meurt. Cela semble dramatique, mais cette expression sanskrite ne signifie rien d’autre que, quelle que soit l’action que nous accomplissons, qu’il s’agisse de célébrer la messe ou de biner la terre, si nous la faisons avec une tendance spirituelle, elle nous rapprochera de notre but, qui est, en fin de compte, d’être chez nous dans notre propre moi ».
Notre véritable espoir est que Mátyás fasse de même aujourd’hui.

Tamás Bognár, pour BMC