Chronique

The Rite of Trio

Free Development Of Delirium

André B. Silva (elg, g), Filipe Louro (b, elb, g), Pedro Melo Alves (dm, electronics, cris)

Label / Distribution : Clean Feed

On attendait avec beaucoup d’impatience le deuxième album du groupe The Rite of Trio. D’abord parce que le premier, intitulé Getting All The Evil of The Piston Collar ! sorti en 2015, nous avait beaucoup plu. Ensuite, parce que tout projet dans lequel figure le batteur portugais Pedro Melo Alves attire de facto notre oreille. A l’écoute de l’album, notre patience est récompensée au-delà de nos espérances.

Free Development of Delirium est une suite en trois parties inspirée par la Lettre aux Médecins-Chefs des Asiles de Fous d’Antonin Artaud. [1] Il y dénonçait, à l’époque, « que les asiles, loin d’être des asiles, sont d’effroyables geôles, où les détenus fournissent une main-d’œuvre gratuite et commode, où les sévices sont la règle. […] L’asile d’aliénés, sous le couvert de la science et de la justice, est comparable à la caserne, à la prison, au bagne. » Artaud savait de quoi il parlait puisqu’il fut lui même interné plusieurs années durant. Il louait également « le caractère parfaitement génial des manifestations de certains fous », qu’il décrivait en « forçats de la sensibilité ».

Un éloge de la folie, donc, que The Rite Of Trio tente de décliner et de retranscrire en musique. Celle-ci donne le sentiment d’entrer à l’intérieur de la tête d’un fou ; pris en tenaille entre crises, accalmies, moments de lucidité et colères. On ne peut qu’être soufflé par tant d’audace et d’inventivité de la part de ce trio d’hurluberlus, qui ici ne fait qu’un. Chaque individualité s’abandonne, se fond dans quelque chose de plus grand que lui. Cela est rendu possible par le fait que les trois musiciens se connaissent par cœur, œuvrant ensemble depuis de nombreuses années dans les marges d’une avant-garde portugaise, aujourd’hui reconnue et louée hors de ses frontières. Ces trois-là fabriquent à l’ancienne une musique des tréfonds, inqualifiable et inclassable, âpre et dure, grandiloquente et revêche, faite de répétitions, de stridences et de martellements, d’accélérations, de cris aussi.

L’album se clôt pourtant, tout en douceur, sur un dernier morceau fait d’arpèges étranges et méditatifs, mêlant guitares et électronique, qui pourrait évoquer le repos tant attendu ou, en tout cas, une certaine libération de l’esprit. Hélas, c’est compter sans cette dernière note suraiguë qui semble annoncer la reprise inéluctable du délire. Repartir à zéro. Voie sans issue.

par Julien Aunos // Publié le 14 novembre 2021
P.-S. :

[1Parue initialement dans la Revue La Révolution Surréaliste, n˚ 3 le 15 avril 1925.