Chronique

Valentin & Théo Ceccaldi

Constantine

Label / Distribution : Tricollection

Dans une uchronie célèbre intitulée Rêves de Gloire, Roland C. Wagner imaginait une Guerre d’Algérie bien différente, après un attentat du Petit-Clamart qui se conclut sur la mort de De Gaulle : Alger devient un port-franc indépendant, en même temps que la capitale de la contre-culture. Entre Alger et Constantine, il y a quoi ? 400 kilomètres ? Et même si le Général n’a pas succombé dans sa DS Citroën et que l’exode des Français d’Algérie a eu lieu, ramenant le papa de Théo et Valentin Ceccaldi en France, on se dit à l’écoute du premier album des deux frangins ensemble que l’Histoire a parfois ses petits tremblements ; et qu’il se cache dans le vieux rocher quelques rêves numides qui font de l’ancienne place forte de la musique arabo-andalouse une cité de création et d’illusion. Ainsi cette vision kaléidoscopique de la ville par Fantazio sur « Une bonne dose de vent » qui parle de vent d’Espagne, de Jean Oury et de Frantz Fanon dans une rythmique tellurique bien réglée par les batteurs Adrien Chennebault et Florian Satche, tout comme la guitare de Guillaume Aknine. C’est une bonne partie de l’Orchestre du Tricot qui est convoquée ici.

L’histoire est simple, ce qui la rend plus belle encore : le père de Théo et Valentin a pour ses soixante ans une sacrée surprise. Ses enfants ont fouillé dans les partitions de ce compositeur renommé pour le spectacle vivant pour lui rendre hommage et dresser son portrait. Pour parler de la douleur de l’exil, de la mise en couleur de la nostalgie. Pour une plongée dans l’intime des souvenirs et des odeurs d’enfance. Constantine se pare de d’atours changeants, célébrant sa diversité. Airelle Besson suit « La Trace du papillon », volette entre le violoncelle de Valentin Ceccaldi et le piano de Roberto Negro. Il nous semble sentir les odeurs d’un matin de Méditerranée apportées par le vent gracile de la trompette. On danse comme on le fait également avec Michel Portal sur « Et même le ciel », qui rejoint la nuit dans un tango carmin où l’on s’étourdit, ivre de tout ces rebondissements.

Si le Tricollectif s’était montré discret ces derniers temps, cerné par les projets plus individuels de ses membres, Constantine bat un rappel tonitruant. On retrouve, de Gabriel Lemaire à Quentin Biardeau la plupart des membres du Grand Orchestre du Tricot, accompagné d’un casting XXL de la scène jazz française. Les Orléanais en profitent pour embrasser toutes leurs envies, jusqu’au joyeux carambolage, de la pop hallucinogène de Thomas de Pourquery (« La Règle du scarabée ») à la puissance mystique de Yom (« Le Retour des perdrix ») qui s’harmonise joliment avec le violon de Théo et le violoncelle de Valentin. On pense, par instant, au Garibaldi Plop de Roberto Negro, qui s’adressait aussi à son père. On aime, au Tricollectif, les disques scénarisés, presque cinématographiques ; avec Constantine, les frères Ceccaldi franchissent toutes les barrières de l’émotion, avec une distribution en or massif. On est abasourdi à la première écoute, et l’impression perdure, jusqu’à la certitude qu’il s’agit là d’un disque de chevet en devenir. Après Marcel & Solange, Serge et Constantine peuvent être bien fiers de leurs enfants.

par Franpi Barriaux // Publié le 10 janvier 2021
P.-S. :

Théo Ceccaldi (vln), Valentin Ceccaldi (cello, b), Quentin Biardeau (ts), Gabriel Lemaire (saxes, cl), Guillaume Aknine (g), Roberto Negro (p, cla), Florian Satche, Adrien Chennebault (dms, perc)

invités : Airelle Besson (tp), Fantazio, Leïla Martial, Abdullah Miniawy (voc), Naïssam Jalal (fl), Emile Parisien (ss), Michel Portal (bcl, bando), Thomas de Pourquery (voc, as), Yom (cl)