Scènes

Rendez-vous de l’Erdre : dites 33

Compte rendu de la trente-troisième édition des Rendez-Vous de l’Erdre à Nantes


Une déambulation sur les bords de l’Erdre en plein cœur de Nantes pour terminer l’été et dans le même temps amorcer une nouvelle année en musique, c’est ce que la ville offre à plusieurs milliers de personnes chaque année. Entièrement gratuits, avec plusieurs dizaines de concerts au compteur, les Rendez-Vous de l’Erdre sont la rencontre incontournable des amoureux du jazz et de la belle plaisance. Difficile voire impossible, à moins d’avoir le don d’ubiquité, d’assister à tout. Petite sélection de quelques prestations scéniques parmi d’autres.

Cette année, la fréquentation du week-end, quoique bien dense, semble moins importante que l’année dernière. La fait peut-être d’un festival qui commence dès le début de la semaine dans les communes périphériques [1] et satisfait d’emblée la population qui y vit, au point qu’elle pourrait ne pas souhaiter se mêler à un public plus important lors du final.

Ce dernier est là, effectivement. Dès le vendredi, il faut parfois slalomer à travers un public intergénérationnel pour gagner telle ou telle scène. Concentrons-nous sur la scène nautique et la scène Sully.

Bernard Lubat, photo Christophe Charpenel

Louis Sclavis
Figure qui a marqué les dernières éditions du festival, le clarinettiste revient sur les bords de l’Erdre présenter son nouveau répertoire en quartet autour du travail d’Ernest Pignon-Ernest. Ce n’est pas la première fois que Sclavis compose en s’inspirant des œuvres du plasticien français (le très beau Napoli’s Wall sur ECM, 2003). Ici, le quartet est le groupe régulier de Louis Sclavis depuis quelques temps maintenant (avec Christophe Lavergne, Sarah Murcia et Benjamin Moussay), donc assez éloigné, dans l’instrumentation, du premier disque. C’est peut-être cela, inconsciemment, qui nous trouble un peu dans l’écoute. Sans parler des bruits de la fête foraine juste à côté de la Scène Sully, qui ne rendent pas service à cette musique. Entre frustration et quelques envolées prometteuses, on veut découvrir le disque !

Compagnie Lubat
Bernard Lubat est une figure à la fois importante et un peu à part dans le monde du jazz et des musiques improvisées français. Sa présence tout au long de la semaine de festival, le long de l’Erdre ou à Nantes, tôt le matin ou tard le soir, est une heureuse idée. Pour clôturer la soirée d’ouverture du Festival dans la ville de Nantes, Lubat se produit avec sa Compagnie et quelques invités, musiciens (Géraldine Laurent, François Corneloup et Christophe Monniot) ou figures du monde associatif nantais (pour nous parler de Steve et plus globalement de la situation policière en France). Sur une scène qui n’est jamais propice à une écoute de qualité, on retiendra tout de même une énergie communicative, une musique vivante au possible et surtout, un Christophe Monniot en feu. Confirmation, s’il en fallait une, que ce musicien est sous-estimé et ne bénéficie pas de l’exposition qu’il mérite. En espérant que l’invitation de Lubat et la possibilité de jouer devant tant de monde ouvrira des possibilités d’entendre Monniot plus souvent !

Vincent Courtois, photo Michael Parque

Théo Ceccaldi Django
Musicien que l’on ne présente plus et qui a déjà sévi sur les scènes du festival, Théo Ceccaldi revient avec son trio - aux côtés de Guillaume Aknine et son frère Valentin - pour le nouveau répertoire intitulé Django. Peut-être un hommage au chien d’Aknine, plus sûrement un travail inspiré par l’autre Django (Reinhardt) et les amours musicales de Ceccaldi : on retrouve tout au long de ce concert les facéties du violoniste et de ses acolytes mais également un véritable travail de composition tout à fait personnel, servi par une maîtrise technique et une cohésion au sein du trio qui emporte le public. Un vrai bonheur.

Vincent Courtois - Théo Ceccaldi
A peine sortie de son trio endiablé, Théo Ceccaldi s’acoquine avec Vincent Courtois. Le duo a déjà donné cinq ou six concerts ensemble. Cordes et archets sont sur scène et s’engagent dans une musique en suspens. Les deux se renvoient la balle, s’amusent, se contournent et se retrouvent. Passé l’enthousiasme virevoltant du début de concert, on entre dans un état de grâce. Une musique pleine d’une belle richesse émotionnelle pour ces deux musiciens qui s’engagent sans fard dans une performance pourtant parfois proche du funambulisme. Un des beaux moments du festival.

ODC Quintet
Petit crochet par la scène Talents Jazz de Loire Atlantique pour découvrir le ODC Quintet. De jeunes, très jeunes gens issus du Conservatoire nantais. Les visages sont juvéniles mais la mise en place redoutable. Le groupe sonne comme un ensemble bien rodé et les solos sont déjà parfaitement construits. Quelques noms à noter dans son calepin pour l’avenir : Jean St Loubert Bié, Gabriel Michaud, Ethan Denis, Eliot Busca, Pierre Bouchard.

Vincent Courtois - Daniel Erdmann - Robin Fincker
La scène Sully pourrait être bénie : il est des après-midi simplement merveilleux. Des cordes, beaucoup de cordes (un trio violon, violoncelle, guitare avec les frères Ceccaldi et Aknine puis un duo violon-violoncelle) puis l’arrivée de deux saxophonistes, à la fois totalement différents et complémentaires, aux côtés du grand Vincent Courtois. Ce trio, on le connaît et on le suit depuis longtemps. Mais c’est toujours un plaisir immense de les voir sur scène. On apprécie réellement le travail sur le son, les merveilleuses associations de timbre, le magnifique équilibre entre le violoncelle et les deux saxophonistes. Erdmann et Fincker sont passionnants et les entendre côte à côte est un vrai bonheur. Entourant Courtois, ils nous offrent un très beau moment de musique dans des conditions compliquées par le vent et le bruit environnant.

Benoît Delbecq, photo Frank Bigotte

Benoît Delbecq Quartet
Milieu d’après-midi en ce dimanche, Benoît Delbecq présente un quartet américain. Rythmique de rêve : la paire John Hebert (basse) - Gerald Cleaver (batterie) produit un swing sans attache qui louvoie, se fractionne et relance les propos de leur leader et du saxophoniste Mark Turner. La musique circule de l’un à l’autre avec beaucoup d’élégance. Rien n’est de trop, tout est dit avec une grande justesse, évidente mais surprenante. Du grand art, pour un des plus beaux concerts de cette édition. Juste après, les quatre partiront enregistrer un nouveau disque qui fera suite à Spots on Stripes.

Matthieu Donarier : Le Bestiaire de Russel Twang
Sur la grande scène nautique, Matthieu Donarier présente son nouveau projet. Si la scène est idéale pour la visibilité qu’elle accorde, le son en revanche n’est pas toujours évident. Le septet pourtant se bat vaillamment. Il faut dire que ses membres ne sont pas de ceux qui se laissent intimider facilement. Samuel Blaser, Eve Risser, Toma Gouband, Christophe Lavergne, Gilles Coronado et Karsten Hochapfel soutiennent le saxophoniste.
Le Bestiaire de Russel Twang est un projet en constante évolution, capable de s’adapter à toutes les pratiques. Ici donc septet, là-bas quartet, trio, autres. La musique est foisonnante, riche de textures, parfois conquérante. Ailleurs plus douce. A suivre.

Andreas Schaerer

Andreas Schaerer Quartet
Le quartet du chanteur suisse Andreas Schaerer, qui avait marqué les esprits lors de l’édition précédente au sein du Phoenix Big Band, présentait sur la scène Sully le répertoire original du groupe. L’ensemble de la prestation est plutôt sur un registre lyrique et mélodique, même si quelques passages bien enlevés donnent lieu à des acrobaties vocales. Mais avec Luciano Biondini à l’accordéon, dont la couleur rehausse souvent la musique de Rabih Abou Khalil ou le guitariste finlandais tout terrain Kalle Kalima, les deux amis Schaerer à la voix et Lucas Niggli à la batterie ont habilement enjolivé leur duo mécanique et roboratif. Et le public de plein air a apprécié ces fantaisies.

Andy Emler MegaOctet 30 ans
L’orchestre du MegaOctet a trente ans et son débonnaire chef d’orchestre Andy Emler tient à fêter l’évènement. La scène nautique est assez grande pour contenir les 9 musiciens et leurs invités, même si pour le son, la distance au public et les conditions de plein air ne permettent pas une écoute aussi attentive que nécessaire. Peu importe, ne boudons pas le plaisir d’entendre l’énergie que cet orchestre dégage dans toutes les situations. Pour l’occasion, Andy Emler avait réarrangé quelques pièces pour que tout tienne dans le format d’une heure, soli compris. C’était le premier concert de cet anniversaire avant la soirée du 12 octobre à Radio France et du 11 novembre à Djazz Nevers.
Une bonne mise en bouche, donc.