Chronique

Atomic

Boom Boom

Magnus Broo (tp), Fredrik Ljungkvist (ts, cl), Håvard Wiik (p), Ingebrigt Håker Flaten (b), Paal Nilssen-Love (d)

Label / Distribution : Jazzland Recordings

Dire : « Untel prouve que le jazz n’est pas mort » est un cliché - peut-être même plus que de dire : « Le jazz est mort, ou morbide. » Je m’abstiendrai donc. Cela dit (et redit), il y a un plaisir spécial à écouter un groupe qui passe au-dessus (ou à côté) des exigences techniques du jazz contemporain pour, tout simplement, se lâcher, dissiper son énergie, faire du bruit, faire du « boom boom. » Ce n’est pas parce que la Norvège est un pays froid que sa musique doit l’être aussi. Ce n’est pas non plus pour rien que Ken Vandermark signe des notes de pochette débordantes d’enthousiasme. D’ailleurs, en hiver, il doit faire presque aussi froid à Chicago qu’à Oslo.

Avec un nom comme Atomic et des albums titrés Feet Music et Boom Boom, on était en droit de s’attendre à de l’électro-jazz, décervelé ou pas. Au contraire, Atomic est un quintet acoustique à l’instrumentation des plus traditionnelles. Ce qui le distingue, c’est qu’il fait partie de cette mouvance qui combine les énergies du bop et du free pour donner un mélange détonant dans le meilleur des cas. C’est la deuxième plage - le morceau-titre - qui lance l’album, avec une section rythmique au groove sale et tumulteux : Paal Nilssen-Love doit beaucoup à Elvin Jones ; il est l’élément décisif du groupe, avec le pianiste Håvard Wiik. Magnus Broo en profite pour s’époumoner, enne prenant des pauses que pour éviter de s’évanouir. Alors que Broo éclate son timbre dans la stridence, Fredrik Ljungkvist est plutôt dans le déséquilibre, s’étalant paresseusement ou ponctuant en pointillés, sans se mettre à transpirer pour autant.

Feets From Above prend une mélodie bancale à la Ornette Coleman pour ouvrir la voie à un solo de piano rubato à la sensibilité mélodique belle mais cabossée. Ljungkvist ne se prive pas de montrer sa filiation avec Coleman, avec phrasé haché et aggressif. Hyper part d’un autre thème à l’unisson colemanien pour partir dans un déferlement piano-batterie.

Cleaning the Dome commence avec des staccatos moqueurs et enchaîne des legatos comme pour s’excuser. Håvard Wiik en profite pour se balader dans le territoire du Bill Evans dernière période.

Re-Lee est, comme son titre l’indique obliquement, un hommage à Lennie Tristano. On y reconnaît la patte du pianiste aveugle dans le swing bondissant du thème, ainsi que ses expérimentations improvisées dans le triple solo simultané qui s’ensuit.

Tout n’est pas dans la débauche d’énergie pour autant. Le Toner Fran Forr initial oppose des passages collectifs délicats dont le côté New Orleans va croissant (dans l’écriture ainsi que dans les contrepoints improvisés propre au genre), à des passages de percussion éparpillée, le tout dans une atmosphère calme et dépouillée, mais pas austère pour autant. Sur Praeludium, une ballade piquée chez Hindemith, Ljungkvist profite de la sonorité chaude et boisée de la clarinette, mais est manifestement moins à l’aise qu’avec son saxophone : couacs et hics rythmiques nuisent à la performance.

Radiohead semble s’installer durablement dans le paysage du jazz. Atomic reprend Pyramid Song (tiré du fantastique Amnesiac), restituant fidèlement sa découpe rythmique inhabituelle (c’est pourtant du 4/4) et sa mélodie sombre et tendue, mais sans vraiment ajouter grand-chose au morceau. On dit souvent que les reprises de rock ou pop contemporains ne marchent pas parce que les morceaux eux-mêmes sont trop pauvres musicalement. Je pense plutôt qu’il est beaucoup plus difficile d’ajouter quelque chose de significatif à une réalisation complète et hermétique (que ce soit Radiohead ou Stevie Wonder) qu’à une composition sortant de la Tin Pan Alley, conçue pour être passe-partout.

Ceux qui ont écouté Feet Music remarqueront que les Atomic sont un peu plus conceptuels sur Boom Boom, et que le propos est un peu moins direct. C’est peut-être une raison de préférer le premier au second, mais cela ne dispense pas d’en faire l’acquisition.