Chronique

Stéphan Oliva

Coïncidences

Stéphane Oliva (p), Bruno Chevillon ( cb, machine à écrire)

Label / Distribution : La Buissonne / Harmonia Mundi

De courtes pièces constituent les dix-huit chapitres de ce livre de la mémoire, cette « invention de la solitude » que retraverse Stéphan Oliva pianiste original, sensible et cérébral, tristanien, evansien certes (ce n’est pas nous qui le lui reprocherons) mais qui, sans renier les figures fondatrices, ne cesse de suivre sa propre route.

Le résultat de ce voyage solitaire (le fidèle Bruno Chevillon, complice de toujours, l’accompagne à la contrebasse et à la machine à écrire Olympia sur trois compositions) est selon Oliva lui même « une musique de livres ». Comme il existe une musique de films. Mais sans être vraiment « illustrative » - elle célèbre la rencontre entre deux univers proches qui se jouent des coïncidences et de la musique du hasard, pour entraîner le lecteur, devenu auditeur, dans les vertiges de l’inéluctable. Sans jamais stopper le jeu des associations, dans ses notes de lecture très finement rédigées, le pianiste évoque chaque référence, décrypte les titres conçus en fonction des livres de Paul Auster. C’est que cette oeuvre écrite, il l’a parcourue en tous sens, et ce Coïncidences, qui aurait pu aussi bien se prénommer « La traversée », est une initiation à la bibliothèque austerienne.

Toutes les compositions - dont les titres évoquent des romans -, sont de Stéphan Oliva, à l’exception du délicieux « Smoke Gets in Your Eyes », qui renvoie au standard célèbre de Jérôme Kern mais se révèle aussi un clin d’oeil supplémentaire au travail de scénariste de l’écrivain, entré en cinéma dans Smoke avec Wayne Wang.

Le piano cristallin, tour à tour clair et droit puis tendre et mélancolique, égrène des mélodies lancinantes, envoûtantes. Conçues à partir d’associations sur des départs plus ou moins prévisibles, marquées par des changements de ton de plus en plus rapides, ces pièces ébauchées, minimalistes souvent, tendent à l’épure ; comme Auster, Oliva nous entraîne dans un monde imaginaire qu’il corrige par un travail effectué sur lui-même et ses ressassements. Si tout livre s’écrit aussi pour faire place à un silence, dans la musique de S. Oliva, une voix se fait entendre qui cherche et trouve l’écho d’autres voix. Il est sans doute celui qui dépeint le plus fidèlement l’univers austérien et ses chemins labyrinthiques. Comme celle d’Auster marquée par une « inquiétante étrangeté », son écriture installe une défamiliarisation progressive : tout entière écho, reflet, close sur elle-même et ouverte au hasard, sur le fil du piano, sans vertige, mais peuplée d’ombres réelles et d’illusoires silhouettes.

A l’écoute de ce disque enregistré à la Buissonne par l’excellent Gérard de Haro, on a l’impression d’assister à un récital solitaire que le pianiste donnerait pour nous seul, dans une soirée privée. Une telle intimité se mérite, et comme en concert, il faut s’y préparer pour goûter pleinement et d’une traite la structure élaborée finement, parfaitement réfléchie.

Après cette expérience, on ne relira pas autrement Auster, mais on aimerait que s’effectue une rencontre entre les deux hommes, on rêve d’une lecture chez Actes Sud, à Arles, de l’Américain accompagné des notes de Stéphan Oliva.

Si « La vie est un songe », écoutons Paul Auster quand il nous dit que la réalité est souvent plus étonnante que la fiction....