Chronique

Franck Nicolas

Jazz Ka Philosophy 2 : Papillon Ka

Franck Nicolas (tp, flh, conche), Eric Vincenot (el b), Sonny Troupé, MIchael Voitus, Louis Allébe Montjoly de Montaigne (perc), Keyko Nimsay (voc)

Depuis quelques années, la musique des Antilles françaises intéresse les jazzmen. Alain Jean-Marie enchaîne depuis assez longtemps déjà les volumes de la série Biguine Reflections, il y a eu l’excellent Rhizome de Mario Canonge (2005), et le projet de David Murray avec des musiciens guadeloupéens a fait connaître le gwo-ka dans le monde. Pour autant, il manquait encore un métissage plus ancré dans le gwo-ka et ses tambours. C’est ce que recherche Franck Nicolas avec Jazz Ka Philosophy 2, qui présente un genre dont il est à l’origine et qu’il appelle le « jazz ka ». Il est d’ailleurs étonnant que cette rencontre ne se soit pas produite plus tôt, les musiques afro-cubaine et calypso faisant depuis longtemps partie du paysage du jazz.

Dans le gwo ka traditionnel, les deux tambours (ou ka) ont chacun un rôle bien défini : le boula (tambour grave, féminin) maintient le rythme de base, tandis que le marker (tambour plus aigu, masculin) suit les pas du danseur. Dans le jazz ka, les rôles sont moins rigides : par exemple, le boula est un peu plus libre et le marker dialogue avec la trompette. En outre, par rapport au gwo ka traditionnel ou moderne (né dans les années 70 avec l’introduction d’instruments contemporains), l’harmonie a été élargie grâce à l’apport de grilles tirées du jazz.

Les deux éléments les plus marquants de Jazz Ka Philosophy sont peut-être les percussions et les mélodies. En effet, les tambours et les polyrythmies du gwo-ka sont au centre de l’album (grâce, en partie, à l’absence de batterie) et influencent de fait le jeu de Nicolas. Ses mélodies et ses improvisations dansent avec ces rythmes-là, parlent avec un accent antillais. Donc, bien qu’on entende l’héritage hard bop du trompettiste, il s’agit autant de gwo-ka s’ouvrant au jazz que de l’inverse.

Les morceaux entraînants, accrocheurs et faciles d’accès s’enchaînent, dansants (« Danse à Soley », « Mama Blues Ka ») ou plus délicats (« Danse à l’anmou »), avec quelques moments tristes (« Papillon Ka ») ou plaintifs (« L’océan Ka ») pour varier les atmosphères. Eric Vincenot y tient souvent un double rôle, en superposant lignes de basse traditionnelles et accords guitaristiques.

Pour finir, les sept morceaux sont repris dans une version « Gwada Mix » plus roots, c’est-à-dire sans les pistes de basse. Cela permet d’apprécier à sa juste valeur le jeu des Tambouyé Sonny Troupé et Michael Voitus, jeu proche des racines africaines et dont les détails sont fascinants. Cette inclusion témoigne aussi de l’aspect pédagogique du projet, Nicolas enseignant le gwo-ka au J.A.M. de Montpellier.