Chronique

Didier Petit Quartet

Wormholes

Didier Petit (cello, voc), Camel Zekri (g, voc, électronique), Edward Perraud (dm, voc et électronique), Lucia Recio (voc), Etienne Bultingaire (musicien du son)

Label / Distribution : Buda Musique

Le projet mélange free jazz, rock à la Noir Désir, musique (ultra) contemporaine et expérimentations en tous genres. Les musiciens font le choix (judicieux) de jouer la carte de l’hétérogénéité, de la diversité et du changement incessant de rythmes et de parties. Malgré un titre et une pochette discutables, la musique qui s’échappe de « cet objet rond à placer dans une chaîne » est, la plupart du temps, très excitante pour l’esprit, à défaut de l’être pour le corps (sur « En fin de compte » par exemple). Si tous les titres, pris un à un, ne suscitent pas le même intérêt (les « Webstern » ne sont pas aussi vivifiants que les « Connexion(s) »), l’album, dans sa totalité, intriguera et séduira les aventuriers de l’oreille – au choix – cassée ou perdue.

Le disque se divise en trois mouvements ou « trajets » portés, inspirés et déclenchés par un extrait de La Vie mode d’emploi de Perec où le personnage (Bartlebooth) organise, selon trois principes directeurs, « un projet unique dont la nécessité arbitraire n’aurait d’autre fin qu’elle-même » : la tonalité du disque est donnée… La musique est intransigeante, point de concessions dans ces trous de ver. Chaque morceau lorgne vers une piste différente, une voie singulière ou une exploration particulière. Toutes les pièces sont très courtes, au grand maximum 3’53 pour « Babouche » (qui se réfère plus à l’organe qu’à la savate) : la musique de Wormholes parvient ainsi à toujours être en mouvement, en recherche. Une fois le projet expliqué, on se rend compte que l’album se fonde sur les réminiscences et les allers-retours.

Certaines pièces reviennent en effet comme des leitmotiv. On peut faire une « lecture » ou plutôt une « écoute » transversale ou chronologique de l’album : soit comme trois mouvements d’une dizaine de pièces chacun, soit en portant une attention aux « relectures » des leitmotiv qui le parcourent. Reviennent pêle-mêle dans chaque mouvement : « Promenade », foutoir chanté relecture de Moussorgski, « T’es rock coco », chanson opéra-rock mi-déjantée mi-Noir Désir sur un texte de Ferré, « La Berceuse horrible », dont le titre suffit à la décrire, ou encore « Bartlebooth », récitation du texte de Perec, emblématique de l’ensemble (dans le Premier mouvement le texte est seul, et dans le deuxième, accompagné d’un background musical du plus bel effet, totalement inclassable, entre rock, Orient et Castafiore).

Si, comme d’habitude dans ce genre d’entreprise, il est difficile d’isoler une individualité, il faut noter tout de même la prestation enthousiasmée et habitée de Lucia Recio au chant : ses plaintes, ses cris, ses vocalises d’opéra, ses halètements, ses bruits de gorge, sont autant d’inventions et vocales nécessaires. Car Wormholes explore autant les voix que les sons : c’est avant tout un projet vivant et organique où l’oreille passe par toutes les couleurs, toutes les émotions.

Une polyfolie corsée et singulière qui mérite de faire son trou dans toute discothèque curieuse.