Chronique

Christophe Monniot

Vivaldi Universel (Saison 5)

Christophe Monniot (saxs), Emil Spányi (clav), Michel Massot (tu, eu), Eric Echampard (dm), Sylvie Gasteau (son), Quatuor Arcanes : Vincent David, Grégory Demarsy, Erwann Fagant, Damien Royannais

Demander à Christophe Monniot de s’attaquer aux Quatre Saisons de Vivaldi, l’idée était alléchante. Sa fougue improvisatrice face aux partitions par trop connues de l’Italien, voilà qui ne pouvait que prendre une tournure explosive. La commande est à mettre au crédit du Rhino Jazz festival et le résultat est remarquable.

Loin du simple dynamitage foutraque d’une œuvre universelle, les musiciens survoltés construisent un véritable discours musical qui intègre aussi bien l’œuvre de Vivaldi dans un environnement très contemporain que des capsules vocales enregistrées sous forme d’ambiances, ou de lectures par Sylvie Gasteau [1]. Cette sonographe que l’on peut entendre sur France Culture ou Arte Radio rythme en respiration la musique écrite par le saxophoniste en collaboration avec le pianiste Emil Spányi.

Si la prestation de Christophe Monniot, en jonglerie permanente du sopranino au baryton - sans négliger l’alto - est ahurissante, il faut aussi noter le travail de tension et de rythmique d’un Spányi qui délaisse avec bonheur son habituel travail de nappes. Le procédé de la parole enchâssée dans la musique, déjà utilisé par Yves Robert dans L’argent, donne de la profondeur au propos, mais apporte aussi une connotation bienveillante, notamment à l’égard des personnes âgées qui racontent le temps et la terre, dans des réminiscences de Campagnie des musiques à ouïr.

Le lyrisme tellurique de notre « Baby-boomer » humairien trouve donc sa pleine puissance dans l’évocation des Quatre Saisons. Mais il ne se limite naturellement pas à une simple évocation de Vivaldi et la construction de l’œuvre est très référentielle : on pense à Mike Westbrook, bien sûr, qui a livré une relecture de Rossini, mais mais aussi à Frank Zappa - voyez cette virulente attaque sur « Hiver-Été 2 » !-, à Stravinsky, à Kuczer, mais aussi aux Pyromanes de David Chevallier, lui-même toujours sur le fil entre jazz en liberté et musique contemporaine.

Vivaldi Universel, qui fait sens au delà du calembour, est un disque complexe et luxuriant, direct et plein d’humour - définition même de l’univers de Monniot, qui trouve sa vraie mesure dans cet intermédiaire entre jazz, musique contemporaine et création activiste sur le fil d’une liberté chauffée à blanc..

Pour l’accompagner dans ses improvisations climatiques, le Normand a embarqué les saxophonistes contemporains du Quatuor Arcanes qui, habitués aux transcriptions classiques, ouvrent le champs des possibles en improvisateurs luxueux. Parmi ses comparses habituels, outre l’ardent Emil Spányi qui pousse à la surchauffe, notons l’entente rythmique et coloriste entre le tubiste Michel Massot, pivot indispensable, et le batteur Éric Echampard, entre frappe dure accompagnant les riffs galvanisés du saxophoniste et musicalité abstraite sur les cymbales.

Comme ces saisons un peu folles, la musique navigue entre chaleur, acidité, froideur et dureté. Avec érudition, subtilité et humour, le travail d’arrangement, d’écriture et de réflexion quasi philosophique autour du dérèglement climatique la transforme en vision globale, entre reportage musical et dénonciation politique radicale, sans être ni artificiel, ni manichéen. Le tout constituant une œuvre cohérente, compacte et entière. Les saisons se mélangent, s’entremêlent. Monniot joue à la mouche du coche accélérant le processus de dissémination au sein d’un monde qui peine à tourner rond. Mais il faut voir aussi dans Vivaldi Universel une sorte de chaos rationnel, comme si du choc des saisons pouvait naître une création collective et une nouvelle terre, une Princesse fragile peut-être…

par Franpi Barriaux // Publié le 2 novembre 2009

[1Inventaire : du Baudelaire, du Kourouma ou des rapports internationaux sur le climat…