Scènes

Jazz Or Jazz ? Il faut choisir !

Retour sur le festival de jazz d’Orléans d’avril 2017


Deuxième édition d’un festival dont l’originalité (entre autres) consiste chaque soir à offrir plusieurs versions possibles du jazz d’aujourd’hui, des stars incontournables aux jeunes musiciens de talent. Chacun son jazz ? Questions, tentatives de réponses, et mise en relief de quelques un(e)s…

« Jazz Or Jazz » n’est pas énoncé sous forme de question, mais de façon affirmative. « Or » n’est peut-être pas à prendre autrement que comme une version abrégée du nom de la ville où tout cela se passe : Orléans. Une longue tradition du jazz, une association très active (Ô), le directeur d’une Scène Nationale qui connaît son affaire et aime prendre des risques, un conseiller artistique au long cours qui sait naviguer entre les salles, les musiques, les musiciens, voilà déjà mille raisons d’accueillir cette manifestation avec la perspective d’y prendre un maximum de plaisir.

Cela dit, et même si les concerts ne se chevauchent pas, ou si peu, il y a quand même une sorte de choix à faire, entre la salle Vitez (plutôt Jazz Migration ou assimilés), la salle Barrault (Alexandra Grimal, ONJ, Bireli Lagrène), et la salle Touchard (stars en tous genres, parfois précédées de découvertes, comme Anne Paceo « Circles » en première partie de Dianne Reeves). Au bout du compte, même si les spectateurs n’étaient pas toujours au rendez-vous des concerts secrets, [1] ils y étaient en nombre à partir du jeudi, et ravis d’applaudir PJ5, Kimono, Alexandra Grimal, l’ONJ.

Et si nous choisissons de mettre une photo de Théo Ceccaldi (signée Michel Laborde) comme « logo » de cet article, c’est que le violoniste orléanais était présent dans deux formations importantes, tout comme Jean Dousteyssier d’ailleurs, et d’autres jeunes pousses. Alexandra Grimal, avec sa formation regroupée autour d’un opéra dit « clandestin » (La Vapeur Au Dessus Du Riz), a montré que l’obstination qui est la sienne de décliner sa musique autrement que de façon instrumentale est payante au sens artistique. Clairement : sa voix est devenue la sienne, posée et audible, et son écriture à la fois audacieuse et mutine, comme son auteure. « Work In Progress » à suivre, évidemment.

L’ONJ d’Olivier Benoit est décidément une très belle formation, engagée dans une magnifique aventure qui a encore un an pour nous ravir. Ce dernier acte (Oslo) est comme transfiguré par la voix et la présence de Maria-Laura Baccarini, qui fait écho avec classe à tous les solistes, dont chaque intervention, duos, trios, tutti, fait résonner une musique dense et sensible. On se souviendra de ces concerts. [2]

Reste que Post K c’est vraiment formidable, à part la timidité excessive des interprètes. On dirait qu’ils hésitent à présenter leur musique et à donner le titre des morceaux joués/déjoués. Du coup, on comprend que le texte qui les présente ait ce côté sibyllin. Mais allez-y les frères Dousteyssier, bientôt plus fameux que la paire rythmique bien connue !!! Dans son hommage à Zoltàn Huszàrik (cinéaste hongrois), Akosh S. déploie une audace très forte, interrompant un concert déjà bien entamé pour une projection dans le plus grand silence d’un film autour du cheval (admirables images), et reprenant le commentaire musical tout doucement avant d’éclater encore. Fort, intense, comme certains cafés, ou du moins supposés tels. Kimono (co-produit par Ô) « feature » Christophe Monniot soliste et compositeur, tout comme Roberto Negro, avec celui qui a participé depuis le début à cette belle histoire en trio, Adrien Chennebault. Deux sonates pour quartet de jazz, en trois mouvements pour celle de Monniot, bien structurée, dans un langage à la Messiaen (mais pas seulement), et en quatre pour celle de Negro, plus débridée et plus folle s’il se peut.

On n’en finirait pas. Le Quatuor Machaut, PJ 5, chacun dans leur genre, illustrent les facettes diversement brillantes de cette boule à jouir et à danser qu’est le jazz vif français d’aujourd’hui.
On me dit parfois que j’en rajoute.
Mais non.
Enfin si peu.
Et puis si ailleurs ils ont mieux, qu’ils le fassent savoir !

par Philippe Méziat // Publié le 30 avril 2017

[1Quand un spectateur non averti lit que Jazz Migration est « un dispositif d’accompagnement (qui) a pour but de faciliter le repérage et l’émergence des artistes par la mise en place d’un parcours de professionnalisation » il entend que des amateurs vont se produire devant lui pour éprouver ce que ça fait de jouer devant un public. Or il s’agit de tout autre chose, d’une part, et chaque groupe a une identité déjà affirmée d’autre part. Post K. c’est très précis, et ça peut s’énoncer dans un programme autrement que par « le quartet puise dans les racines du jazz pour nous inviter à découvrir une musique populaire, riche et déstructurée ». À mon sens, cela est très peu incitatif, voire répulsif.

[2À ce sujet, une remarque personnelle : j’ai constaté que les concerts qui me donnent le plus de plaisir au moment où ils me sont offerts, sont aussi ceux dont j’oublie assez vite le contenu réel, afin de me régaler le fois suivante comme si c’était la première. C’est une question d’amour, au fond. Quand on aime, c’est toujours la première fois. Ou alors c’est qu’on aime pas, ou plus.