Chronique

Archimusic

Le rêve de Nietzsche

Jean-Rémy Guédon (saxes, dir, comp), Jimmy Justine (voc), Vincent Arnoult (htb), Nicolas Fargeix (cl), Vincent Reynaud (bsn), Emmanuelle Brunat (bcl), Fabrice Martinez (tp, flh), Thierry Jasmin-Banaré (b), David Pouradier-Duteil (dms)

Label / Distribution : Le Triton

« Quiconque aspire à quelque liberté de penser, doit se priver pour un long temps du droit de se sentir autre chose qu’un errant sur la terre », écrit Nietzsche dans Le Voyageur et son ombre. Après s’être astreint à cette discipline en multipliant les allers et retours sur des Terres Arc-en-Ciel sous forme de disques de voyage, l’ensemble Archimusic et son architecte, le saxophoniste Jean-Rémy Guédon opèrent un retour aux sources (leur vingtième anniversaire sera célébré à la Java, à Paris, les 1er et le 2 octobre 2013) - le verbe.

Après avoir visité les textes de Jean Arp sur 13 arpents de malheur ou de Sade, en compagnie d’Elise Caron, sur Sade Songs, l’ensemble évoque cette fois ce volcan créatif que fut l’auteur d’Ainsi parlait Zarathoustra. Comme pour le divin marquis, il fallait trouver une manière de transcrire la musicalité de la phrase dans une forme ouverte et vivante. Lors d’une résidence en région parisienne, Archimusic et le rappeur Rocé se sont donc plongés dans les textes afin d’en tirer des extraits bruts. Sur disque, c’est via une approche moins âpre que Jimmy Justine scande les textes, mais le résultat est impressionnant de modernité. On pouvait craindre, à l’écoute d’« Eternal PremNiet », qui ouvre l’album, que le flow de Justine pâtisse de ce travail préliminaire avec Rocé, tant le premier semble vouloir retrouver la scansion du second. Mais au fil des morceaux, le rappeur trouve son style propre.

Ainsi, sur un morceau comme « Katniet », tiré de Zarathoustra, le batteur David Pouradier Duteil et le bassiste Thierry Jasmin-Banaré ancrent solidement la base rythmique dans un groove anguleux où s’enchâssent de lumineux contrepoints. Tout au long de l’album, ce duo est la courroie de transmission idéale entre la scansion brute du rappeur et la très large palette de timbres d’Archimusic. Sur « Darkniet », texte pétulant tiré du Gai savoir, le travail de Vincent Arnoult au hautbois et de Fabrice Martinez à la trompette permet une lecture qui va au-delà de la turbulence des mots. Le texte respire. Les musiciens s’emparent de ses fulgurances et chaque morceau est une lente construction qui prend le temps de l’effervescence. Les productions hip-hop actuelles feraient bien de s’intéresser davantage au basson. Quant à Nietzsche, Ecce Homo, nul n’imaginait sans doute que son rêve intrinsèque était de faire du rap comme d’autres de la prose, sans le savoir…

Même largement remanié, l’ensemble Archimusic conserve l’équilibre entre quartet de jazz et quatuor de chambre qui a fait sa réputation. Si la finesse de l’écriture de Guédon n’est plus à démontrer, elle relève ici du tour de force sans tomber dans la démonstration. Le rêve de Nietzsche abolit avec un Gai iconoclasme toute forme de posture. Comme dirait l’autre, sans Archimusic, Nietzsche serait une erreur. Ou presque.