Chronique

Benoît Delbecq

The Weight of Light

Benoît Delbecq (piano préparé)

Label / Distribution : Pyroclastic Records

Il aura fallu attendre onze ans pour que Benoît Delbecq donne une suite à Circles & Calligrams, son précédent enregistrement solo en studio. On retrouve, une nouvelle fois, un piano préparé à partir de bouts de bois et de gomme insérés entre les cordes qui altèrent les sons d’origine et évoquent la sanza ou le balafon africains. Grâce à une prise de son particulièrement remarquable, la finesse des timbres et l’étendue des couleurs ainsi obtenues confèrent une dimension délicatement impure à un instrument pourtant réputé pour son intransigeance intervallique. Sur les parties du clavier laissées dans leur état d’origine et pour contrebalancer cette pratique percussive, le pianiste continue de mener un travail mélodico-harmonique fait de dissonances feutrées et de phrases énigmatiques qui permet le déploiement d’un monde original.

Car Benoît Delbecq reste sur le territoire connu qu’il a défini depuis de nombreuses années. Sa longue pratique d’un langage personnel lui permet aujourd’hui une décontraction qui apporte de la souplesse à la rigueur du propos. Sans jamais se départir des climats stationnaires qui sont les siens, il construit un ensemble de cellules aussitôt mises en variations libres, dont les mouvements autonomes interagissent cependant les uns sur les autres en dessinant premiers et arrière-plans. Le travail sur les nuances et l’entremêlement des voix fuguées, de même que l’articulation entre la respiration des sons et les silences, génèrent ainsi une sensation d’espace et de grande clarté.

Dans ces états suspendus et mouvants, tout semble indépendant quoique tenu par une même voûte originelle, pareil aux mobiles dont Delbecq utilise les dessins pour conduire son discours. Baigné dans un mélange de douceur et d’étrangeté, l’auditeur, captivé par la projection éclatée de cette prouesse pianistique, finit par se perdre, avec délices, dans une écoute schizophrénique. L’unité du créateur est mise en doute, son expressivité démultipliée. Ce n’est pas la moindre des audaces de cette fascinante mécanique hallucinatoire.

Un documentaire réalisé par Igor Juguet et illustrant le travail de Benoît Delbecq est accessible ici.

par Nicolas Dourlhès // Publié le 21 mars 2021
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