Chronique

Daniel Zimmermann

Dichotomie’s

Daniel Zimmermann (tb, comp), Benoît Delbecq (p, kb), Rémi Sciuto (sax basse), Franck Vaillant (dms).

Label / Distribution : Label Bleu

Récemment entré dans l’ONJ sous la direction de Fred Maurin, Daniel Zimmermann n’en développe pas moins une activité personnelle que Citizen Jazz n’a pas manqué de souligner par le passé. Thomas de Pourquery, Jacques Vidal ou Fred Pallem, quelques-uns de ses compagnons de route, ne viendront pas dire le contraire pour ce qui les concerne. Régulièrement – selon ce qui s’apparente à des cycles de trois ans – le tromboniste vient vers nous armé d’une proposition musicale qui atteste chez lui d’une relation toute particulière avec son instrument. Car bien plus qu’une source de musique – ce qu’il est d’abord, on s’en doute – le trombone devient un outil compagnon, comme pouvait le suggérer Bone Machine, le titre de son premier album sous son nom en 2013 ; en d’autres circonstances, il sera un partenaire de jeu, celui de ses Montagnes russes en 2016. C’est une relation organique, très vivante, qui se manifeste à travers ces deux disques qui auraient pu en leur temps, faire l’objet d’une distinction sous la forme d’un ÉLU. Celle que mérite amplement Dichotomie’s, le nouveau venu et troisième avatar des aventures d’un musicien qui fait le pari de dire la vie en même temps qu’il partage ses rêves musicaux.

Au sujet du trombone, Daniel Zimmermann nous confie : « En ce qui concerne le rapport à l’instrument, le trombone a longtemps été un peu un sacerdoce pour moi, de par son exigence physique et le rapport que j’avais avec lui. Cela fait quelques années, parce que je me suis détendu, que j’ai trouvé le moyen de mettre fin à des problèmes de cervicales, et que j’ai acquis une certaine maturité dans le discours, que je le vois moins comme un animal que je dois dompter, et que je peux enfin le concevoir définitivement comme un prolongement de ma voix, de mon souffle. Car c’est, je pense, un des grands atouts de l’instrument : il peut être, par son registre, ses inflexions, ses possibilités d’effets, l’instrument le plus proche de la voix humaine, comme tout instrument à vent mais encore un peu plus. Et j’essaie de l’utiliser comme tel, même si je suis d’un naturel bavard et que j’ai été marqué par la volubilité de certains saxophonistes alto, que je cherche à retrouver à ma manière sur cet instrument qui n’est pas du tout fait pour ça ! »

Oui, la volubilité. Surtout que pour l’occasion, Daniel Zimmermann n’a pas seulement renouvelé son équipe mais opté pour une formule sonore plutôt singulière. Si le choix des partenaires est à l’évidence celui de l’inventivité sur fond de jubilation, on se dit qu’il s’agit là d’une association pas comme les autres dans laquelle la contrebasse – jusque-là tenue par le fidèle Jérôme Regard – cède la place à un saxophone basse. Un beau défi rythmique et mélodique que Rémi Sciuto relève avec gourmandise et lyrisme, parfaitement stimulé par la polyrythmie de Franck Vaillant à la batterie et la diversité des paysages dessinés par Benoît Delbecq au piano. Autant dire qu’avec un tel trio, Daniel Zimmermann peut laisser libre cours à son imagination et à son sens de la narration.

Car Dichotomie’s a les allures d’un recueil de nouvelles. Ce sont neuf histoires brèves qui s’enchaînent en effet, dans une variété de climats qui a pour effet d’accélérer le cours du temps. On ne risque pas de s’ennuyer un seul instant dans ces petits univers reliés par un seul questionnement que le tromboniste résume en quelques mots : « Et si l’existence n’était qu’une suite sans fin de choix binaires à effectuer entre deux chemins ? » Un appétit pour les histoires que confirme Daniel Zimmermann lui-même : « C’est vrai que j’ai plutôt une approche morceau par morceau ; ensuite, c’est l’aspect plus formel et la réalisation (équipe, instrumentation, son, modes de jeu) qui unifient le tout en un ensemble cohérent. C’est parce que j’essaie le plus possible de rattacher les compositions à l’instant où elles sont écrites ; en général les bonnes compositions viennent car elles sont liées à des moments et des sentiments ou sensations bien particulières… »

De fait, sa musique est marquée par la coexistence de couleurs qui se côtoient, s’additionnent et se fondent plutôt que de s’opposer. Les vicissitudes du comportement des humains, l’obsolescence programmée, le suivisme vont de pair avec la contemplation, le plaisir ou ce qu’on nomme de nos jours le « lâcher-prise ». Le trombone en profite pour passer par de multiples états, recourant s’il le faut à différents effets, tel celui d’une wah-wah à l’ancienne pendant que les quatre compagnons s’en donnent à cœur joie, jamais à court de surprises rythmiques et d’élans poétiques glissés au cœur de leur conversation.

Dichotomie’s est au bout du compte – on devrait dire au bout des contes – un bel exemple de jazz qu’on osera qualifier de populaire. Non qu’il cède à la moindre facilité en vue de séduire le plus grand nombre, mais parce qu’il parvient à réaliser le grand écart entre des influences dont le spectre est large (de Carla Bley à Clifford Brown en passant par Ludwig Von 88 et Henry Threadgill), tout en gardant constamment du coin de l’œil les fondamentaux que sont la mélodie et la pulsation. À ce petit jeu, le pari de Daniel Zimmermann est gagné : c’est bien une voix qu’il fait entendre, celle de son trombone, et donc la sienne.