Chronique

Bill Carrothers

Civil War Diaries, live

Bill Carrothers (p)

Label / Distribution : Sans Bruit

Comme le sculpteur façonnant chaque jour un peu plus finement ses multiples études, les solos de piano de Bill Carrothers mûrissent à mesure qu’il les joue, qu’il les habite. En un mot, qu’il les raffine. Depuis plus de dix ans, on connaît son goût pour la recherche du filigrane d’humanité et de destin dans les souvenirs - ceux de l’enfance dans sa ville d’Excelsior, ou ceux de l’album familial récemment exposés dans Family Life.
C’est pourtant sur un sujet d’apparence moins intime, la guerre de Sécession, que Carrothers a le plus sûrement peaufiné son ouvrage. Ces Civil War Diaries, recueil de chansons qui ont façonné l’histoire populaire de l’Amérique sont pour lui bien plus qu’un ouvrage de chevet : un fil d’Ariane qui contient en condensé toute sa musique.

Carrothers n’est pas de ceux qui s’amusent à refaire la bataille de Gettysburg sur son piano avec des petits soldats de plomb. Ce qui l’intéresse, lorsque la sonnerie aigrelette de la « Seventh Cavalry March » s’échappe d’un masse imposante jouée lourdement à la main gauche, c’est l’agrégat d’inconscient et de souvenirs qui s’échappe de cette musique patrimoniale. C’est cette abstraction qu’il va chercher dans la mélancolie diffuse de « Bonnie Blue Flag », qui perd instantanément toute rutilance martiale pour une une poésie pleine de spleen. Le piano divague dans une mémoire que Carrothers met en scène avec une honnêteté sans faille. Quand il laisse courir un stride un peu bancal sur « Kingdom Coming », il ne fait que pointer un détail dans une atmosphère brumeuse, comme on le ferait avec un objectif à décentrement. Mais ce sont ces détails en apparence anodins (le thème de « Dixie » qui revient sans cesse) qui brossent un tableau plus global. Celui d’une certaine Amérique.

Civil War Diaries, live que nous propose en téléchargement le label sans bruit est plus qu’une plongée sensible dans une fresque historique devenue matériau brut. C’est aussi une histoire d’édition ; enregistré pour la première fois pour le label Pirouet Records en 1993, Civil War Diaries fut rejoué pour (Illusions) en 2004 avec de notables évolutions. La présente version, captée en public à Vélizy en mars 2006, est encore différente. S’il ne s’agit pas de comparer, on peut tout de même noter ici une plus grande fluidité. Une épure qui témoigne de la maturation de la musique comme du pianiste lui-même. Découvrir cet enregistrement quelques mois après la sortie d’Excelsior laisse un délicieux sentiment de chaînon manquant qui apporte un nouvel éclairage sur la musique de Carrothers.