Chronique

Brandon Seabrook Epic Proportions

Brutalovechamp

Brandon Seabrook (g, mand, bjo), Nava Dunkelman (perc, objets, voix), Marika Hughes (cello), Eivind Opsvik, Henry Fraser (b), Chuck Bettis (elec, voc), John McCowen (cl, cbcl, fl), Sam Ospovat (dms, perc)

Label / Distribution : Pyroclastic Records

Membre du remarquable Triple Double de Tomas Fujiwara, le guitariste Brandon Seabrook est depuis des années identifié comme un élément d’une galaxie qu’on pourrait grossièrement estampiller braxtonienne. Il a de fait joué dans quelques orchestres du compositeur, mais aussi avec Mary Halvorson ou Ingrid Laubrock. Musicien au jeu parfois virulent, on l’a entendu dans de nombreux projets aux franges du rock et du free le plus coriace, avec Daniel Levin notamment. Son récent octet Epic Proportions est son projet le plus ambitieux ; aux côtés du guitariste et banjoïste (il met particulièrement en avant cet instrument dans le morceau inaugural qui donne son nom à l’album), on retrouve la fine fleur d’une certaine scène underground de New York, à commencer par la violoncelliste Marika Hughes, qui fit partie de Charming Hostess.

Hughes anime les cordes dans cet orchestre aux côtés de deux contrebassistes, Eivind Opsvik et Henry Fraser et, sur le très collectif « Libidinal Bouquets », on perçoit l’importance de ce solide point d’appui, tout comme l’est le batteur Sam Ospovat, entendu avec Ava Mendoza. Pour faire fonctionner son octet, Brandon Seabrook a besoin d’une base indéfectible, dont le rôle est de tenir les positions lorsqu’elle est assaillie par les fauteurs de troubles. Le premier d’entre eux est Seabrook lui-même. Ses envolées électriques sont toujours aussi tranchantes (« I Wanna Be Chlorofied I »), même si au banjo il aime à se fondre dans la pâte orchestrale, bien aidé par la clarinette de John McCowen qu’on a pu entendre en Europe avec Roscoe Mitchell, et qui mérite toute notre attention. Mais l’électronique de Chuck Bettis, tout comme les objets et les percussions de Nava Dunkelman, sont toujours en rupture, toujours prêts à infléchir ou à tordre, à emmener l’orchestre sur des itinéraires non balisés et parfois très étranges (« Gutbuckets Asylum »).

Brutalovechamp est un disque radical et plein de poésie qui ressemble à s’y méprendre à un portrait de Brandon Seabrook. Capable d’aller tutoyer le rock progressif dans une ouverture faussement grandiloquente, l’octet sait passer en quelques instants d’une improvisation des plus abstraites à une brutalité inspirée par le punk et de revenir à une musique inondée d’un folklore imaginaire où le banjo est central. On pensera au zapping jubilatoire de groupes comme Secret Chiefs 3 ou Mr. Bungle. Seabrook partage avec eux un goût pour le joyeux et brillant dérèglement.

par Franpi Barriaux // Publié le 1er octobre 2023
P.-S. :