Chronique

Circum Grand Orchestra

12

Label / Distribution : Circum Disc

Identifié depuis longtemps comme la pierre angulaire du prolixe collectif lillois Muzzix, le Circum Grand Orchestra (CGO) signe avec 12, son nouvel album, une vibrante affirmation de groupe. 12, c’est d’abord le nombre de ses membres. Un nombre parfait, entier, à la fois multiple de deux et de trois. Un symbole, donc, et une formule qu’on retrouve dans la pâte orchestrale du CGO, où les soufflants et la base rythmique sont séparés à égalité par deux guitaristes boutefeux, passerelles entre les timbres autant qu’agents provocateurs capables de toutes les brisures. C’est sur leurs cordes que s’annonce le très puissant « Tan Son Nhat », qui traduit le tumulte de cet aéroport vietnamien dans une progression harmonique évoquant le vrombissement d’un décollage.

Jusqu’à lors, le CGO jouait la musique d’Olivier Benoit, désormais appelé à d’autres fonctions à la tête de l’Orchestre National de Jazz. Ce nouveau répertoire est écrit par le bassiste Christophe Hache. Plus que d’une rupture, il s’agit d’un virage. Benoit a joué ces morceaux avant de céder sa place à Ivann Cruz, qui tenait déjà ce rôle dans Feldspath. Le jeu caverneux de Cruz, fureteur intenable dans une pièce comme « Graphic », emporte le CGO dans des paysages nouveaux, aussi languides que le piano de Stefan Orins. Bien sûr, on retrouve ici les motifs répétitifs qui ont forgé l’identité de l’orchestre, mais ils sont moins concentriques ; ils se développent dans une perspective plus plane, qui grossit de fusion en fusion, allant toujours du plus frêle au plus puissant, du quasi-silence à l’éclat (« Principe de précaution »). Cela permet aux deux batteurs, Jean-Luc Landsweerdt et Peter Orins, d’entretenir des échanges incessants, du discours coloriste au martèlement binaire revendiquant absolument son héritage rock.

Le résultat est une musique moins dense, où les soufflants s’offrent une grande liberté individuelle, par exemple sur « 12 », qui s’ouvre sur un magnifique dialogue entre les bugles d’Aymeric Avice et de Christophe Motury [1] avant d’amplifier un mouvement inexorable à mesure que les musiciens s’amalgament. Christophe Rocher, d’abord, dont la clarinette basse est au centre des débats, tout comme Christian Pruvost dont le rôle est grandissant dans cet orchestre. On pourrait craindre que cet étalement des solistes crée de la distance, mais c’est aussi pour eux l’occasion de prendre des responsabilités sans perdre de vue l’intérêt commun. « Hectos d’Ectot » en est certainement l’exemple le plus patent. Dans le flot heurté du saxophone de Julien Favreuille, une tournerie se dessine. Elle pourrait faire songer à ces gimmicks qui naissent chez Steve Coleman, mais elle se transforme bien vite, circule, disparaît puis se régénère auprès de la clarinette basse avant de filer dans l’ombre des guitares pour mieux revenir, cabossée, dans le creuset du saxophone. Ces douze musiciens-là ont une haute idée du collectif, qu’ils imaginent nécessairement infrangible et solidaire. 12 en est une enthousiasmante projection.

par Franpi Barriaux // Publié le 4 août 2014
P.-S. :

Julien Favreuille (saxes), Jean-Baptiste Perez (saxes) Christophe Roche (cl), Aymeric Avice (tp,flh), Christophe Motury (flh, voc), Christian Pruvost (tp), Sébastien Beaumont (g), Ivann Cruz (g), Stefan Orins (p), Nicolas Mahieux (b), Christophe Hache (b, comp), Jean-Luc Landsweerdt (dms), Peter Orins (dms)

[1La surprise de ce 12… car les 12 sont parfois 13 ! Brouiller les pistes reste une seconde nature chez le CGO…