Chronique

Claudia Solal Spoonbox

Room Service

Claudia Solal (voc), Benjamin Moussay (kb, elec), Jean-Charles Richard (sax), Joe Quitzke (dm), Régis Huby (vl)

Label / Distribution : Le Chant du Monde

On ne présente plus Claudia Solal. De ses collaborations avec Yves Rousseau au sein de l’ambitieux Poète, vos papiers !, dans le New Dodécaband de son père Martial Solal ou le septet de Jean-Marc Padovani à ses récentes expérimentations avec la Théorie du chaos ou son séjour sur la Banquise de Françoise Toullec - en passant naturellement par ses propres créations -, cette remarquable chanteuse s’approprie des univers très variés.

Au-delà d’une technique vocale unanimement célébrée, elle apporte constamment une douceur en léger décalage, une candeur acidulée qu’on avait pu apprécier sur Porridge Days, album construit en duo avec les raffinements électroniques de Benjamin Moussay. On retrouve ici le jeu très coloré de ce claviériste protéiforme, entre giboulées de piano onirique au bord d’un précipice et architectures électroniques intimes et spectrales.

Dans son quartet Spoonbox, augmenté çà et là du violoniste Régis Huby, l’absence de basse donne encore plus de légèreté à la mousseline d’illusions pastel qui tapisse ce petit monde - un monde où Claudia Solal distille une véritable ivresse de contrastes. Dans le très sombre « But The Birds Above », elle créée un vertige qui semble vouloir happer l’auditeur. Sur la fine lame tranchante des saveurs excentriques et un peu inquiétantes, le sucré de la voix et l’amertume des constructions musicales s’enchevêtrent comme les branches noueuses d’un arbre centenaire qui, en un instant, pourrait en prendre ombrage et se draper d’une noirceur de conte pour enfants peu sages.

Lorsque le saxophoniste Jean-Charles Richard, autre comparse de Claudia Solal en improvisation libre, apporte sa petite touche acide, les saveurs de la musique trouvent leur équilibre dans des fantasmes épicés de comédie musicale (patents sur « Soundscape », pivot de l’album). Ce côté piquant revêt différents reliefs grâce à la rythmique métallique d’un Joe Quitzke très inspiré, qui n’appuie que rarement le temps pour contribuer à créer plutôt une sensation vaporeuse, une « fin de bouche » capiteuse (« Tara’s Room », sorte de divagation victorienne que Régis Huby nappe d’un supplément de langueur).

Les chansons du foisonnant Room Service mêlent avec bonheur littérature victorienne, jazz éthéré et improvisation sensible. La musique tumultueuse de Claudia prend ses racines tant dans les brumes d’un Canterbury fantasmé où l’on croiserait la route d’un lapin shakespearien que dans la Nouvelle-Angleterre rigoriste d’Emily Dickinson. Il en résulte un disque luisant et sombre à la fois, comme la théière d’étain des merveilles d’Alice.