Chronique

Daniel Caux

Le silence, les couleurs du prisme et la mécanique du temps qui passe

« Je suis quelqu’un qui a mené un combat pour la musique pendant quelques décennies », aimait à se définir l’essayiste, journaliste et musicologue Daniel Caux. À l’occasion de sa mort, le 12 juillet 2008, Le silence, les couleurs du prisme et la mécanique du temps qui passe, un recueil de ses écrits (non exhaustif – c’est impossible !) paru aux Editions de l’Eclat, lui rend hommage.

« Daniel ne fut pas un musicologue au sens classique du terme », précise Jacqueline Caux en exergue de l’ouvrage, auquel elle a largement contribué. « Ce fut plutôt un activiste musical, qui sut accueillir, analyser et défendre, dès leur émergence, toutes les formes d’expression nouvelles, qu’il s’agisse du free jazz, du minimalisme, du postmodernisme, du raï ou de la techno, sans s’en tenir exclusivement à la musique, puisqu’il avait commencé par être peintre. » C’est à partir de 1972 que Daniel Caux se consacre exclusivement à la musique et abandonne la peinture et le dessin, passions devenues peu à peu un métier ; après quelques émissions de-ci, de-là, il prend la tête de l’Atelier de création radiophonique sur France Culture. Sur l’excellent CD qui accompagne le livre, il raconte en riant comment ses revenus ont brutalement chuté, et son moral brutalement remonté ! À côté, il fait venir les musiciens dont il parle dans ses articles (dans L’Art Vivant, Art Press, Le Nouvel Observateur, Charlie Hebdo, Libération, Le Monde, etc), émissions (sur France Culture et France Musique essentiellement), dont il rédige les notes de pochette, les programmes de concerts et festivals. Il fait ainsi venir Albert Ayler, Terry Riley et LaMonte Young à la Fondation Maeght à Saint-Paul de Vence, ou Philip Glass et Steve Reich au Festival d’automne. La France découvre l’avant-garde américaine.

… un activiste musical, qui sut accueillir, analyser et défendre, dès leur émergence, toutes les formes d’expression nouvelles, qu’il s’agisse du free jazz, du minimalisme, du postmodernisme, sans s’en tenir exclusivement à la musique

Albert Ayler compte parmi les musiciens qu’il a le plus défendus. « Les cris et les grincements qu’il faisait surgir de son saxophone, les émissions simultanées de plusieurs notes, les longs sifflements d’anche, les apparitions soudaines de thèmes en forme de fanfare ou de candides ritournelles enfantines, les formidables vibratos qui l’élevaient jusqu’au vertige, tout ce que j’ai pu apprendre de lui, de sa musique jusqu’à la teneur de ses derniers appels téléphoniques à sa compagne, me conduisent à penser que c’est d’une façon parfaitement grandiose, avec l’immense lyrisme poétique qui l’habitait, qu’il a quitté ce monde. » Dans chaque mot de Caux, on sent l’amour qu’il portait à la musique - aux musiques. De Sun Ra à Cecil Taylor en passant par John Cage ou Nina Hagen, il la fait vivre autant qu’elle le fait vivre. Elle est à la source de sa peinture. Grand défricheur de l’inconnu, il milite pour la liberté et réfute la hiérarchie occidentale des arts, dans un exergue en forme de profession de foi :

« Je réfute notre hiérarchisme occidental musical qui, s’appuyant sur de vieux relents colonialistes et de vieilles idéologies politiques douteuses, a échafaudé une échelle de valeur esthétique au sommet de laquelle a été placée, au-dessus de toutes les autres, la musique occidentale, reconnue comme suffisamment sérieuse et complexe pour occuper cette place. J’aime la conceptualisation et même la revendique, mais ce n’est pas pour moi l’unique critère au prisme duquel on doit aborder la création musicale. Je n’accepte pas que l’humour et l’émotion ne puissent pas être pris en compte alors qu’ils le sont dans d’autres formes d’art. Je n’accepte pas qu’Eric Satie soit regardé avec condescendance. Je refuse que le jazz, la musique indienne, la musique africaine, la musique arabe, soient traitées comme des musiques mineures alors que John Coltrane, Thelonious Monk, Ravi Shankar, Oum Kalsoum, apportent davantage à la musique que nombre de ces suiveurs d’une musique dite contemporaine et qui ne sont en réalité que les reflets du reflet du reflet. »

Il fait ainsi venir Albert Ayler, Terry Riley et LaMonte Young à la Fondation Maeght à Saint-Paul de Vence, ou Philip Glass et Steve Reich au Festival d’automne.

Ses articles sont présentés selon six grandes parties qu’il avait lui-même définies : « John Cage et les répétitifs » ; « Les musiciens post-modernes » ; « Jazz et Free-jazz » ; « Trois femmes hors-normes » (Meredith Monk, Laurie Anderson et Nina Hagen) ; « Les intempestifs singuliers » ; « Les musiques électroniques ». Le disque qui complète l’ouvrage en offre un échantillon, et donne à entendre la voix malicieuse de Daniel Caux.

Plus qu’à un homme, Le silence, les couleurs du prisme et la mécanique du temps qui passe est un hommage à toutes les musiques « nouvelles » ou, selon ses propres termes, « hors limites ». Ce très bel objet, qui se lit comme un recueil de poésie, ouvre les portes de nombreux styles et courants, et prend soin de ne pas les fermer.