Scènes

Roy-Poulsen-Chevillon

« Comme dirait Marc Ducret, si vous avez aimé le concert, achetez le disque, et si vous ne l’avez pas aimé, achetez le disque : il n’a absolument rien à voir ! ».


« Comme dirait Marc Ducret, si vous avez aimé le concert, achetez le disque, et si vous ne l’avez pas aimé, achetez le disque : il n’a absolument rien à voir ! ». C’est ainsi que Guillaume Roy conclut le concert de sortie d’Une certaine forme de politesse à l’Atelier du Plateau (Paris) le 16 septembre 2009. A travers l’improvisation brute, ce trio de cordes explore la matière sonore de manière étonnante, riche et drolatique à la fois.

La salle de l’Atelier du Plateau, bien remplie ce soir-là, applaudit l’entrée de Bruno Chevillon (contrebasse), Hasse Poulsen (guitare) et Guillaume Roy (alto). Pas de partitions, pas d’amplis : c’est une entrée nue. Le silence qui se fait alors n’est imperceptiblement rompu qu’au bout de longues secondes : l’auditoire écoute, les musiciens aussi. Ils écoutent le bon moment pour fendre le silence.

B. Chevillon © H. Collon

Alors, doucement, s’élèvent dans l’espace une, deux, trois voix. Les visages sont extrêmement concentrés. Le trio est à la recherche du geste juste, celui qui sera productif tout en restant attentif, meneur et suiveur, sonore et à l’écoute. Mus par le désir de l’instant, les musiciens sèment dans l’espace des graines qui, bientôt, germent et donnent un arbre à trois branches et mille racines. Nous, les spectateurs, sommes étonnés : étonnés devant la densité et la richesse de sons, qu’on aurait pu craindre fuyants, éphémères. Il n’en est rien. Non seulement la musique nous prend au corps et nous emporte mais elle est nourrie de ce qui apparaît comme une prestation scénique.

De tout suc les trois musiciens font leur miel : alto, guitare et contrebasse, mais aussi tiges de métal, élastiques, ressorts... Hasse Poulsen ne joue pas mais se joue de la guitare : il la frotte par terre et écoute avec nous le son qu’elle produit. Nous devenons tous des enfants émerveillés devant ce qui deux minutes plus tôt, était insoupçonné. Alors nous rions. C’est drôle, ce musicien qui râpe attentivement son instrument contre le sol, et tous ces dos qui se penchent en avant pour mieux l’observer. Drôle aussi l’utilisation qu’il fait des ressorts-jouets - ceux qui descendent les escaliers -, sa façon de glisser des disques, des gobelets en plastique ou des baguettes de métal entre les cordes comme pour « voir ce que ça fait ». Ses compagnons acceptent le pari. Chevillon fend l’air avec deux archets. Sa musique est d’une effroyable précision, délicate, forte, en pointillé - mais surtout pas pointilleuse ! Roy ponctue la première pièce d’un coup d’archet inattendu et rit avec nous. La salle entière est là, réactive. C’est particulièrement frappant à la fin des pièces, quand tous retiennent leur respiration de peur de gêner un final encore inconnu, ou de gâcher le silence qui suit la dernière note...

H. Poulsen © H. Collon

Si l’on est aussi peu sûr de ce qui va venir, qu’est-ce qui, alors, lie enregistrement et concert ? C’est le pari fou : vivre le moment présent, le suivre autant que de le diriger, se laisser surprendre par lui pour aussitôt le retourner à son profit. C’est l’étonnement renouvelé face aux sons, le désir de l’inconnu, le grisement du risque. C’est l’art du kaïros, le « juste moment », le sentiment d’une harmonie sous-jacente entre le son, qui se déploie dans le temps, et l’interactivité du groupe, qui se déploie dans l’espace. C’est une musique qui est retenue et qui fonce, qui mène et qui obéit, qui se donne comme bruitisme pour finir sur un rythme hispanisant endiablé... Une certaine forme de politesse.

Cette musique, on peut se demander si elle peut se passer de l’interaction avec le public, de cette mise en scène imprévue et imprévisible. Ce qui est sûr, c’est que les trois instruments sont à la recherche de quelque chose qui soit « au plus vrai », dans le sens d’une adéquation avec l’intuition, le ressenti, le présent. Ce qui est assez rare pour être précieux et appréciable.

par Raphaëlle Tchamitchian // Publié le 25 janvier 2010
P.-S. :

Une certaine forme de politesse, Guillaume Roy/Bruno Chevillon/Hasse Poulsen (Quark, 2009)