Chronique

David El Malek

Music From Source Volume 2

David El Malek (ts, ss, Tarija, shruti-box, voc)

Label / Distribution : Naive

La musique israélienne résulte plus d’un mélange de folklores que d’une tradition locale à proprement parler. Au gré des mouvements auxquels l’histoire l’a contraint, le peuple juif l’a enrichie d’influences judéo-arabes (séfarades) ou judéo-andalouses, mais aussi klezmer (ashkénazes). Soit un brassage des musiques traditionnelles d’Europe de l’Est et du bassin méditerranéen. David El Malek a passé les huit premières années de sa vie en Israël. Ce n’est pas rien, huit ans. C’est suffisant, en tous cas, pour ancrer en soi une culture, une sensibilité. Toutes ces musiques représentent donc pour lui une sorte de langue maternelle. Pour autant, son vocabulaire musical est celui du jazz. Complice de longue date de Pierre de Bethmann, avec qui il partage beaucoup - dans leurs formations respectives ou dans la formule intimiste du duo, co-leader d’un groupe passionnant avec Baptiste Trotignon, sideman remarquable aux côtés, entre autres, de Diego Imbert ou Laïka Fatien, ce saxophoniste est surtout connu pour son phrasé sinueux et compact, sa sonorité puissante et sablée, sa facilité à improviser autour de standards aussi bien que de compositions originales. En 2008, avec Music From Source, il partait en quête de ponts à jeter entre ces deux cultures, imaginant une fresque où se mêlaient les influences moyen-orientale et afro-américaine avec des compositions caractérisées par les assemblages de timbres des instruments à vents apportant des couleurs safranées, ainsi que par les interventions solistes des souffleurs, tous issus de la scène jazz, qui déployaient sur ces tissus chamarrés leurs talents d’improvisateurs. La contrebasse s’y montrait volontiers empreinte de groove, et Daniel Garcia-Bruno y alternait ses visions rythmiques en passant de la batterie aux percussions.

Quatre ans après cette première étape, David El Malek propose le second volet de son aventure musicale, et on ne met pas longtemps à sentir que sa vision du retour aux sources s’est affinée. Exit les arrangements soyeux et les à-plats cuivrés, la batterie et les soli tous azimuts… il a décidé de creuser plus profond pour se rapprocher encore de ses racines. Il s’est cette fois entouré de musiciens [1]
plus habitués aux musiques liturgiques qu’à l’improvisation. Bien que seul soufflant, il prend peu de solos. Plus de batterie ici mais quatre percussionnistes (dont Jules Bikoko Bi Njami, seul participant du premier volume) qui utilisent des percussions marocaines et développent des motifs rythmiques qui s’imbriquent, de façon traditionnelle (au sens premier du terme), pour favoriser l’élan spirituel d’un répertoire qui semble abordé à rebours du premier volume.

Si celui-ci, en effet, partait du jazz pour aller à la rencontre des influences judéo-arabes, la musique est cette fois centrée sur ces musiques traditionnelles, qui deviennent une matière première à laquelle El Malek ajoute quelques fragrances de jazz et de classique. Le saxophone se fond dans la pâte, chemine le long des lignes de basse ou des grappes de notes s’échappant du oud ou du kanun (sorte de cithare originaire d’Iran), se fait porteur de courtes phrases répétées dont la fonction semble plus rythmique que mélodique, devient voix pour exposer les thèmes, mais se cantonne majoritairement à un placement discret, loin de toute velléité démonstrative. Quelques solos bien sentis permettent tout de même à El Malek de nous faire goûter, une fois de plus, à la force tranquille dont il sait parer ses prises de parole, au ténor comme au soprano. Ces moments où le saxophone est réellement mis en avant ont toujours un intérêt narratif, et cela ne les rend que plus délectables.

C’est donc le musicien, plus que l’instrumentiste, qui s’exprime à travers ce voyage musical intense. Music From Source Volume 2 est une œuvre qui s’appréhende dans sa globalité tant chaque morceau a été pensé, avec un impressionnant souci du détail, comme un mouvement, une étape. Au fil des titres, les masses sonores se font plus denses, de superbes parties vocales (Ingrid Panquin) et un quatuor à cordes apportant vite un lyrisme plein de spiritualité. La prise de son, là aussi très éloignée de celle du premier épisode, privilégie la proximité et la rusticité. La palette de sonorités due à l’utilisation d’une multitude d’instruments traditionnels est suffisamment riche, et la volonté du saxophoniste est manifestement d’aller vers un rendu plus authentique.

Un parti pris payant, puisqu’en s’éloignant de sa zone de confort musicale, il se confronte à une culture depuis longtemps tapie en lui, n’attendant pour resurgir qu’une démarche introspective ; celle-ci prend sur ce Volume 2 la forme d’une longue suite rythmée et lyrique à travers laquelle se lit en filigrane l’étroitesse des liens entre musiques d’Orient et d’Occident, pour peu que la rencontre soit placée sous le signe de l’échange.

par Olivier Acosta // Publié le 3 décembre 2012

[1Ali Alaoui (tbila, darbouka, riqq, def, bendir, sagattes, tarija, tassa, gallal)
Ingrid Panquin (voc)
Spyros Halaris (kanun)
Thierry Di Filippo (oud)
Sabrina Mauchet, Anne Vanhems (v)
Mathilde Vrech (alto)
Vladimir Tserabun (cello)
Jules Bikoko Bi Njami (b, tarija)
Thibault Laurent (def, bendir, gallal, tarija)