Chronique

Dominique Lemerle Quartet

This Is New

Label / Distribution : Black & Blue

Seuls des « petits maîtres » des notes bleues peuvent se saisir avec autant d’aisance d’un tel répertoire de compositions élaborées par leurs illustres prédécesseurs. Le quartet réuni par le contrebassiste Dominique Lemerle impressionne par le pedigree des protagonistes. Ils jouent avec une telle jubilation de jeunes gens que leur jazz est empreint d’une urgence touchante. Le titre de l’album, issu d’une composition de Kurt Weill écrite au début de son exil étasunien, en 1941, pour la comédie musicale « Lady in the Dark », apparaît d’ailleurs comme un pied de nez aux tenants du jeunisme.

Ainsi en va-t-il également de la combinatoire malicieuse du jeu piano (excellent Manuel Rocheman)/guitare (magistral Michel Perez), exercice ô combien périlleux du fait des qualités harmoniques des deux instruments. Dans le choix des phrasés, notamment sur le bop « Big Foot/Ease It », cosigné par Charlie Parker et Paul Chambers, on perçoit moult clins d’œil à la complicité historique entre Wes Montgomery et Wynton Kelly. Quant à la conjugaison de la contrebasse et de la batterie, elle se révèle d’excellente facture, plus encore quand elle se fait joute de haute voltige sur « Comrad Conrad », cette composition alambiquée de Bill Evans sur laquelle le batteur Tony Rabeson conduit le groupe avec un plaisir partagé.

Il va pourtant de soi que c’est à la contrebasse chantante du leader qu’est réservée la part du lion de cet album. Ainsi du choix de deux compositions de « confrères » : surprenante livraison de « Peau Douce » de Steve Swallow, sonnant plus naturelle que l’original par la grâce du boisé poétique de Lemerle ; belle restitution de « Gloria’s Step » de Scott LaFaro, phare de la contrebasse moderne. Ou bien encore de la solidité du jeu d’accompagnement sur un surprenant « My Funny Valentine » ici proposé up-tempo, voire d’une émouvante exposition à l’archet de « My Foolish Heart ».

Pour autant, ce disque suinte la camaraderie et, si leadership il y a, il est évanescent, tant le jeu d’ensemble est limpide et joyeux. Car, comme le prouve l’appropriation bien sentie de « Manoir de mes rêves » de Django, ce quartet a trempé ses propositions dans l’onirisme pour nous prouver que le jazz est là pour nous faire rêver.