Chronique

Edredon Sensible

Vloute Panthère

Jean Lacarrière (ts), Tristan Charles-Alfred (bs), Antoine Perdriolle (dm, perc), Mathias Bayle (dm, perc)

Label / Distribution : Les Productions du Vendredi

Ce quartet au nom mystérieux livre un premier album avec un titre rappelant les jeux de mots érudits de Martial Solal. Là s’arrête la comparaison avec l’illustre pianiste. Car Édredon Sensible, puisque c’est son nom, s’inscrit dans la lignée des musiques libertaires, punk et joyeusement bordéliques de la scène jazz de la Ville Rose. Déjà très apprécié dans son bastion toulousain, il était fréquent, autrefois, de voir des jeunes gens s’agglutiner autour de lui pour s’imprégner de sa fougue et de sa folle énergie. Mais qu’on ne s’y méprenne pas : même si le disque est taillé pour la danse et la fête, il mérite aussi une écoute attentive. Sans trompette, mais avec deux tambours et deux saxophones, il reproduit les secousses et les courants qui venaient instantanément électriser les pieds et les oreilles lors de ses concerts. Dans un salon ou dans un vieux hangar désaffecté, le sol tremble et tremblera encore sous la frénésie de ces deux batteurs, capable de produire le boucan d’une batucada ou d’un grand orchestre afro-cubain.

Au ténor, Jean Lacarrière possède la verve et l’ardeur d’un John Lurie, ou d’un John Zorn qui aurait troqué son alto et les clubs enfumés de New-York pour la fournaise d’un soir d’été toulousain. Soutenu par Tristan Charles-Alfred au baryton, il se démène sans relâche pour modeler les sonorités incandescentes avec un jeu oscillant entre des phases d’incantation ou d’explosion. Si les deux souffleurs se hèlent et se répondent tout au long des six morceaux du disque, ils se retrouvent magnifiquement dans des unissons surpuissants et d’une profonde beauté. Bien ancrés sur la rythmique quasi-martiale d’Antoine Perdriolle et de Mathias Bayle, les sax construisent au gré de leurs digressions et de leurs débordements le lent cheminement vers un état de transe, ponctué de soudains et brutaux déchaînements sonores.

A la fin du disque, plus aucun doute ne subsiste sur la raison du long cri entendu à son tout début. La musique d’Édredon sensible nous exhorte à faire de même et à retrouver les vertus et bienfaits des temps anciens.

par Jean-François Sciabica // Publié le 9 mai 2021
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