Scènes

Atlantique Jazz Festival met la turbine européenne

20 ans, des gens debout et un rayonnement international.


Ava Mendoza © France Paquay

Cette édition 2023 du festival de jazz organisé par Plages Magnétiques avait quelques particularités. En premier lieu, il s’agissait de la 20e édition et ce genre d’anniversaire ne passe pas inaperçu. En second lieu, il s’agit de la dernière de la directrice Janick Tilly qui signe sur le site de la SMAC jazz de Bretagne un édito en forme de lettre d’adieu. Enfin, la programmation et la fréquentation ont été d’une belle tenue avec quelques invité·e·s internationaux·ales comme Immanuel Wilkins, Ava Mendoza ou le groupe Angles.

La formule qui marque l’identité du festival, une semaine itinérante en Finistère et une semaine à Brest, est renouvelée avec succès et cette année, c’était le trio du saxophoniste Matthieu Donarier (avec Joe Quitzke à la batterie et Manu Codjia à la guitare) qui se chargeait des concerts territoriaux. Le trio est lui-même constitué depuis plus de 20 ans, sa solide interaction est à toute épreuve. Autres éléments structurant l’ADN de l’Atlantique Jazz, l’artiste associé·e à Plages Magnétiques. C’est la harpiste Rafaëlle Rinaudo (membre du trio Nout) qui assure le rôle et qui propose un duo avec la bassiste Fanny Lasfargues : FIVE 38. On trouve aussi une exposition, des actions en direction du jeune public et des pratiques amateurs, une conférence, etc.
La semaine à Brest a vu se succéder des concerts en soirée, dans divers lieux, mais principalement dans la salle souterraine du Vauban, au design légendaire.

Ava Mendoza © France Paquay

La soirée internationale présentait un solo et un sextet. Une femme et six hommes. En ouverture, le fabuleux solo de guitare électrique d’Ava Mendoza (US) qui ne cesse de se modifier avec le temps, même si l’apparence reste la même. Les thèmes sont ceux de son solo New Spell et restent au répertoire, bien calibrés et bien enchaînés. Mais ils sont si ancrés en elle qu’elle peut les attaquer de différentes façons, rester sur un effet plus qu’un autre, réagir à la salle… Ce soir, d’ailleurs, celle-ci était bien chaude. Ici à Brest, le public n’est pas de ceux qui restent sagement assis. Ava Mendoza s’en amuse. Elle laisse la guitare parler et les sons flotter. Elle sait y faire et crée de longues improvisations sur des boucles planantes en multipistes et quelques incises bourdonnantes en picking jusqu’à une saturation crépitante. Comme à son habitude, elle chante quelques titres et à la voix, elle a des accents country, des hoquets aigus et des growls rugissants dans les graves. Sa voix est aussi très expressive et son attitude tend vers la guitar hero avec les traits romantiques d’un hobo blues à l’arrière d’un wagon de marchandises. Magnifique et souriante, elle sera bissée par la volonté farouche de la salle, malgré le timing serré dû au concert suivant. On sait recevoir à Brest.

Angle © France Paquay

Les six musiciens suédois du groupe Angle qui arrivent ensuite s’installent pour une petite heure de cette musique qui fait leur succès, un mélange très cuivré qui puise à de nombreuses influences de la diaspora des musiques noires. Ici le jazz est déjà en état gazeux, tant le mélange est chauffé. Sans pour autant s’énerver – ces messieurs ont passé l’âge des galipettes sur scène – ils sonnent comme un bel ensemble, plein d’énergie, et se passent les solos comme on fait tourner le calumet de la paix. Le leader Martin Küchen est de ces musiciens libres qui semble ne vouloir ne baisser ni le son ni les bras. Il faut noter qu’une partie de ce groupe est aussi membre de l’excellent Fire ! Orchestra dont ils portent la marque indélébile.

La Turbine est un lieu culturel partagé posé dans la rue Jean Jaurès, minérale et cicatricielle. Cet ancien garage récemment restauré et brillant de mille feux abrite justement les locaux de Plages Magnétiques, ceux de l’ensemble Nautilis du clarinettiste brestois Christophe Rocher, et la Coopérative 109. Dans le hall d’accueil qui sert aussi de galerie pour une exposition de photos, des chaises forment salle pour un public.
On est venu écouter le duo improvisé - et ce soir enregistré pour un disque, qui réunit le saxophoniste et clarinettiste Robin Fincker et le violoniste Mathieu Werchowski (soit la moitié du groupe Bedmakers). Ils proposent une musique basée sur le collectage des traditions folk, collectage qu’ils ont d’ailleurs réalisé dans la région auprès des anciens, avant que tout ne disparaisse. Ces bribes de mémoires populaires servent de base à leur travail d’improvisation et d’écriture. Le duo joue avec une approche bartokienne, passant d’une musique aux accents folk à des bribes d’improvisations bruitistes. Le concert est constitué d’une longue histoire sans interruption, sauf pour le petit rappel.

Fidel Fourneyron, Fabrizio Rats © France Paquay

De retour au Vauban, on assiste à une seconde soirée française avec la création de Fidel Fourneyron « Bell » suivie du quartet énervé Édredon Sensible. En tout, 7 garçons et 2 filles.
Fidel Fourneyron, avec cet orchestre aérien et rythmique, marche dans les traces du Wonder Brass Factory du tromboniste Daniel Casimir (pour celleux qui se souviennent des années 90). Une fougue cuivrée et partagée par le trombone, le tuba (excellente Fanny Meteier) et la trompette (ici Aymeric Avice en remplacement de Quentin Ghomari) et soutenu avec groove et folie par la batterie d’Héloïse Divilly et le clavier inventif de Fabrizio Rat. Un attelage coloré et baroque pour une musique qui (c’est le début du projet, on sent encore quelques hésitations) ne demande qu’à s’échauffer et grandir par expansion. La fanfare est chaloupée par la batterie et le clavier sait étaler des tapis plus ou moins volants sous les pas des soufflants. C’est prometteur et inventif. On ne peut s’empêcher d’être ébloui par la combinaison jaune poussin et les paillettes sur les joues de Fanny Meteier qui, centrale, illumine la scène.

Pour finir la soirée, le quartet grouillant de testostérone Édredon Sensible est venu pour faire bouger la salle du Vauban, juste avant que les DJ ne prennent le relais pour entraîner la jeunesse brestoise jusqu’au bout de la nuit (qui ça, qui ça ?). Leur transe sale et rurale à base de percussions et de hurlements de saxophone est percutante, la salle est debout et danse. Tout sensible qu’il est, cet édredon n’incite pas vraiment au sommeil.

Edredon Sensible © France Paquay

Plages Magnétiques fait partie des rares lieux de jazz en France qui mènent de front une programmation à l’année et un festival alors même qu’ils n’ont pas de salle propre comme la plupart des autres scènes labellisées jazz. C’est dommage, et l’équipe qui se renouvelle progressivement travaille d’arrache-pied pour monter la programmation ET trouver des lieux d’accueil. Et le festival Atlantique Jazz est chaque année un peu plus aventureux, tant mieux.
Le festival a eu la bonne idée d’inviter des journalistes internationaux pour couvrir les concerts, dont notre partenaire belge Jazzmania et son rédacteur en chef Yves Tassin ainsi que le journaliste anglais Martin Longley. Une étape nécessaire pour un rayonnement européen. Malin.