Chronique

István Grencsó & Bálint Bolcsó

Forecast

István Grencsó (ss, bcl), Bálint Bolcsó (fx, elec)

Label / Distribution : PrePost Records

On peut légitimement mesurer la vigueur d’une scène locale ou nationale dans sa capacité à se renouveler, dans les générations comme dans les discours. On peut aussi l’apprécier grâce à sa capacité à s’ouvrir sur d’autres musiques et d’autres lieux, à être d’une curiosité insatiable et à nourrir un goût assumé pour les marges. De tous ces points de vue, on atteste de l’excellente santé de la scène jazz et musique improvisée hongroise. La cohésion des arts hors-cadre est certes une tendance lourde en Europe, mais de ce point de vue, la Hongrie perpétue une tradition acquise derrière le rideau de fer ; pour exister hors du sérail, il faut s’unir.

L’un des symboles de ce refus des étiquettes, c’est le multianchiste István Grencsó. Depuis plus de quarante ans, il joue en proximité avec des musiciens rock (ce fut souvent le cas dans les années 80), effleure la musique classique et contemporaine. C’est ainsi qu’on le trouve avec le piano concertant de Barnabás Dukay, peu de temps après avoir travaillé la Marginal Music avec Rudi Mahall. C’est dire si la rencontre avec l’électronicien Bálint Bolcsó n’a rien de surprenant. Le jeune homme, plongé dans la musique contemporaine, a une approche du son très charnelle. Il ne s’agit pas de s’emparer de la rythmique, ou même de dominer la clarinette basse et le saxophone soprano de Grencsó. Lorsque la première partie de Forecast débute, c’est le silence qui nous accueille, avant que quelques mouvements ne viennent du lointain. On ne perçoit d’abord pas de différence entre le grondement des machines et le souffle de la clarinette. Tout s’organise à la moitié du morceau, entre le fracas des anches et la stridence des signaux électroniques. Mais parfois, on doute de son oreille. Est ce une plainte de soprano ou une série de réglages alliant finesse et complexité ? « Forecast 2 », avec sa surenchère de sifflements qui entretient une forme d’urgence et de qui-vive, répond sèchement à la question : sous ses airs très abstraits, Forecast est un exutoire où le rôle de l’électronique est de perturber, voire de dynamiter le jeu de Grencsó, plus tempéré qu’à l’habitude (« Forecast 3 »). Lorsqu’il est à la clarinette basse, le duo conserve d’ailleurs une sorte de douceur caressante, presque troublante, que les machines n’altèrent pas.

Forecast est bien une affaire de température. Front chaud contre front froid, il y a de fortes chances que cela tourne à l’orage. L’éclair ne tarde pas à frapper. L’immédiateté de ce disque ne manque d’ailleurs pas de virer au coup de foudre et évoque certaines rencontres de Jean-Marc Foussat avec des improvisateurs. C’est également l’occasion de découvrir Pre Post Records. On pourrait situer le label de Dávid Tamás Pap, un ancien de la radio contestataire Tilos, à mi-chemin entre BeCoq - grâce à ses connections avec la Noise Music - et Veto Records pour son attachement à un free libertaire qui ne craint aucune expérience radicale. Une belle carte de visite pour un disque profond et exceptionnel malgré sa rudesse.