Tribune

Jazz Connective pose les (bonnes) questions

Jazz Connective est un programme de réflexion et de productions intellectuelles autour des « musiques créatives » qui s’est déroulé à Helsinki.


Sakari Puhakka, Pierre Dugelay et Charles Gil par Maarit Kytöharju

Jazz Connective, kézaco ? Pas une association, pas un réseau non plus, bien que de fait et de manière informelle, les participants nouent entre eux des relations sociales, voire amicales. Il s’agit d’un programme de réflexion et de productions intellectuelles autour des « musiques créatives ». Mais voilà : qu’entend-on par « musiques créatives » ? Explications, à l’occasion du Jazz Connective #3 d’Helsinki, quant à ce concept qu’il faut prendre avec des pincettes.

La performeuse slovène Irena Z. Tomažin a ouvert avec une prestation scénique tout à fait surprenante la troisième session du programme Jazz Connective fin octobre à Helsinki. Et c’est donc avec cohérence que Pierre Dugelay, initiateur et leader de cette aventure et néanmoins directeur du Périscope à Lyon, a pu parler de « musiques créatives » à propos de ce programme européen.

L’intitulé du programme comporte le mot « Jazz » - il est le fait d’Oliver Weindling à la tête du Vortex Jazz Club de Londres et du Babel Label - mais l’appellation peut s’avérer trompeuse. Il s’agit plus précisément d’œuvres dans des genres peu fréquents, novateurs, comme en a témoigné sur la scène du WHS Teatteri Union la prestation d’Irena Z. Tomažin, chanteuse, vocaliste mais pas seulement puisque son spectacle verse aussi dans l’art dramaturgique et l’installation sonore. En effet son occupation de l’espace en début et fin de prestation, l’usage de cassettes audio, de dictaphones témoignent d’un format qui va au-delà du seul concert.

La clarinettiste Élodie Pasquier a suivi avec un concert solo. Certes, la configuration est moins originale, il n’en reste pas moins qu’un solo avec un instrument mélodique n’est pas fréquent et qu’il interroge lui aussi les formats plus classiques.

Insufficient Funs par Maarit Kytöharju

Quand Pierre Dugelay parle de musiques créatives, il ne s’agit donc pas d’entendre que d’autres musiques ne le seraient pas. En effet on rétorquerait facilement que chaque genre musical est intrinsèquement lié et nourri par la création, même lorsqu’il s’agit de reprendre un répertoire existant. En revanche, il s’agit pour lui, comme pour Kenneth Killeen, directeur artistique de l’Improvised Music Company (IMC) et organisateur du Jazz Connective #4 qui se déroulera à Dublin en décembre 2019, de promouvoir des musiques qui proposent des cadres et structures n’existant pas par ailleurs, sinon de manière marginale.

Le concert d’Insufficient Funs, un duo entre le batteur Matthew Jacobson et le saxophoniste basse Sam Comerford, deux musiciens irlandais auxquels s’est joint en milieu de concert le saxophoniste finlandais Mikko Innanen, en témoigne encore. Tout comme le solo de clarinette, la formule sax-batterie existe déjà - on se souvient par exemple du concert d’Abraham Burton, Eric Mc Pherson et Nasheet Waits filmé par Olivier Taïeb dans Jazzmix in New York - mais elle est si peu fréquente qu’elle témoigne elle aussi de ces configurations à la marge.

De manière tout à fait semblable, les deux concerts donnés par Joanna Duda viennent remettre eux aussi en question certaines conventions, au point que, comme pour Irena Z. Tomažin, il est compliqué de qualifier son orchestration. Elle est certes claviériste puisqu’elle joue sur un piano acoustique et un piano électrique, mais pas seulement. L’usage parfois exclusif de l’informatique et de l’électronique comme ce fut le cas lors de son solo, l’illustre.

Joanna Duda par Maarit Kytöharju

Le concert du duo entre Élodie Pasquier et Gilles Coronado pourrait, de prime abord, sembler plus commun. Mais le jeu du guitariste, en privilégiant souvent et sur de longs moments (presque la totalité de la composition « T’as un p’tit coup de frais mais t’es quand même bien en place »), un note à note plutôt qu’une succession d’accords, relève d’une innovation structurelle, ou au moins d’un format à la marge.

C’est dans ce champ de la structure qu’il faut envisager les termes « musiques créatives », bien plus que dans une opposition entre des arts qui relèveraient de la création et d’autres qui n’en seraient pas. En tout cas, c’est ainsi que Jazz Connective pose la question, en plus des interrogations liées aux questions socio-musicales puisque l’édition finlandaise a proposé, entre autres, différents workshops autour du booking en Europe et de la nécessité de produire de la musique dans un contexte environnemental responsable.