Entretien

Jean-Michel Albertucci

Rencontre avec un pianiste pas comme les autres, créateur d’une musique improvisée qu’il place délibérément sous le signe d’un hasard nietzschéen…

Il faut être gonflé pour enregistrer un disque de piano solo qui n’est, selon son compositeur, ni du jazz ni de la musique classique ou contemporaine.

Un disque surgi de nulle part, en réalité l’expression d’une personnalité attachante qui accepte de laisser le (heureux) hasard guider ses idées et ses doigts sur le clavier, non sans avoir accompli un long cheminement : celui de la maturation et du recul sur l’exigence que requiert la discipline « improvisation », avant d’oser le fixer sur un enregistrement. Une synthèse d’influences multiples à travers laquelle se dessine une création « harmolodieuse », néologisme colemanien [1] que le pianiste acceptera d’autant plus volontiers qu’il n’hésite pas lui-même, quand il le faut, à inventer des mots pour mieux traduire le sens de son travail. Avec ces Étranges fantaisies parues sur le label lorrain EMD [2], Jean-Michel Albertucci gagne le pari, risqué, d’une musique dont il concède qu’elle peut paraître austère sous certains de ses aspects géométriques mais qui n’oublie jamais de célébrer l’essence même de la musique : le chant. Ici, rythme et mélodie se croisent sans cesse dans une course un peu folle qui nous transporte dans un univers surprenant sans être déroutant. Avis aux amateurs, il y a là matière à une belle découverte. Il fallait donc prendre le temps de bavarder avec ce musicien passionné et passionnant et de le laisser expliquer à loisir la genèse d’un projet qui germait en lui depuis de longues années. Rencontre avec un monsieur décidément étonnant…

  • Je vous propose de commencer par une présentation sous forme de carte d’identité ?

Jean-Michel Albertucci : je suis né en 1957, j’ai commencé le piano à l’âge de trois ans – c’est ma mère qui a eu cette idée, qui a décelé une espèce de talent, enfin pas un talent mais plutôt un signe. Je suis entré au Conservatoire d’Aix-en-Provence à l’âge de 10 ans (je suis originaire de Vitrolles, près de Marseille). Puis c’est mon père qui est rentré dans la danse et voulait que je fasse des études sérieuses parce que je n’étais pas un manchot à l’école : donc j’ai fait des études d’ingénieur, à l’ENSEM [3], c’est pour ça que je suis venu à Nancy. J’y suis arrivé en 1978 et là, j’ai découvert une association, NAJA, ou Nancy Jazz Action, où il y avait pas mal de musiciens - qui sont d’ailleurs encore en activité dans la région, notamment dans le cadre d’EMIL 13 : François Guell, Jean-Luc Déat, Pierre Boespflug, Jean-Pierre Douche [4]. C’est là que j’ai découvert l’improvisation, à l’âge de 21 ans : j’avais une formation classique, j’avais essayé des choses, mais j’étais un peu réservé, timide. J’avais tenté mes propres expériences mais pas vraiment avec des musiciens, et c’est là que j’ai pu faire mes premières armes en jazz.

  • À cette époque vous enseigniez ? De quoi viviez-vous ?

JMA : J’étais étudiant, jusqu’en 82-83 et je faisais un peu de bal, je donnais des cours, j’étais aussi soutenu par ma famille. Quand j’ai eu mon diplôme d’ingénieur, je me suis rendu compte que ce n’était pas vraiment ma voie et je me suis dit : « Ce n’’est pas possible, ça va être la musique parce que l’autre versant, ça ne va pas marcher ». Enfin j’ai senti que je serais malheureux. C’est un choix qui n’a pas été fait d’une manière abrupte en un instant, ça a mis un peu de temps. Dans les années 80 j’ai donné pas mal de cours, j’ai aussi fait du bal, joué un peu de jazz… Ensuite j’ai été contacté par Bernard Struber, qui était directeur du Département Jazz du Conservatoire de Strasbourg, et j’ai enseigné là-bas de 1989 à 1996, avec de plus en plus d’heures, ça marchait bien. J’ai continué mon activité de musicien à Strasbourg et Nancy, avec des rencontres, et joué dans l’Orchestre Régional d’Alsace de Bernard Struber. En 1996, on a mis fin à mes fonctions ; avec le recul, je me rends compte que le Conservatoire et l’Orchestre de Bernard Struber… tout ça était un peu mélangé, je ne me suis pas assez méfié. Il y a eu une espèce de désaccord dans le cadre de l’orchestre, ça a un peu contaminé tout le reste, il y a eu un divorce et j’ai dû partir. En 1996, je me suis donc retrouvé le bec dans l’eau, j’ai un peu végété, je continuais à faire des concerts, un peu de bal, du piano-bar, et puis j’avais les ASSEDIC à l’époque. Pendant 2 ou 3 ans, ça n’était pas terrible, je n’avais pas à m’inquiéter, mais bon… En 2000, j’ai été contacté par Raoul Binot à Bar-le-Duc, où j’ai enseigné deux ans au CIM [5], mais le contexte ne me convenait pas très bien… En 2002 j’ai eu l’occasion de faire du piano-bar d’une manière assez importante, alors j’en ai profité pour arrêter et j’ai fait ça pendant 2 ou 3 ans. Parallèlement, j’ai toujours eu des visées plus artistiques, il y avait toujours ce désir, cette pulsion.

Je repars en arrière pour en revenir au CD : le solo me taraude depuis longtemps. A l’époque de la NAJA, dans les années 80, j’avais fait un concert en solo. Tous les ans, les groupes de l’association se produisaient, c’était une espèce de bilan de l’année écoulée, pour toutes les formations qui avaient travaillé pendant l’année se produisaient dans le cadre du festival NAJA. Une année, je crois que c’était en 83 ou 84, j’ai eu l’idée de faire un solo ; j’avais ce désir, et j’ai fait ce concert, mais rétrospectivement ce n’était pas bon du tout parce que je n’avais pas saisi comment ça fonctionne. (Ce qui laisse entendre que maintenant je l’ai saisi !) Je pense l’avoir cerné, l’avoir vécu très profondément. Je peux raconter aussi comment ça s’est passé. J’avais fait d’autres concerts, notamment aux Trinitaires à Metz et préparé une espèce de parcours, pas une partition mais plutôt un cheminement possible sur des mélodies, des thèmes, une espèce de bric-à-brac…

Jean-Michel Albertucci
  • Une trame à partir de laquelle vous improvisiez ?

JMA : Oui, mais rétrospectivement je me rends compte que c’était un peu flou dans ma tête, j’avais envie de jouer en solo parce que je sentais que j’avais un truc à exprimer, mais je n’y arrivais pas. Au bout de 30 ou 35 minutes je me suis arrêté, c’était plutôt un échec.

C’était dans les années 80. On repasse aux années 2000 : une amie flûtiste classique qui enseignait aussi a eu envie de faire de l’improvisation avec moi. Donc j’allais chez elle et puis on improvisait, comme ça. Ensuite il y a eu une violoniste, puis un guitariste, Pascal Nicol, et on a monté un petit groupe très informel. À l’époque j’enseignais à l’Ecole de musique de Vandoeuvre, et là - en 2002 je crois - le directeur a demandé à tous les profs de présenter des jazzmen qu’ils connaissaient, et donc à moi, de faire une proposition de groupe de jazz. C’est là l’origine du Vand’Jazz, le festival de jazz de Vandoeuvre. Alors j’ai proposé ce groupe-là, qui n’était pas vraiment un groupe de jazz ; on a fait ce concert mais à trois seulement – piano, violon, guitare – car la flûtiste qui était à l’origine du projet a eu un accident de voiture. Dominique Répécaud, qui accueillait cet évènement au Centre Culturel Malraux de Vandoeuvre, était là, et ça l’a interpelé. Il m’a fait comprendre que si j’avais un projet un jour, je pourrais le lui proposer. Ça a traîné plus d’un an dans ma tête, parce que je trouvais que ce qu’on faisait avec ce groupe-là n’était pas assez mûr pour être présenté en festival. Au bout d’un an ou un an et demi je me suis dit : « Le solo ! ». J’ai un peu culpabilisé vis-à-vis des autres puis j’ai balayé tout ça et je suis allé le voir. C’était pendant l’été 2003. Il m’a dit : « OK, mais je veux écouter ce que tu fais » et il m’a proposé une journée d’enregistrement. J’y suis allé les mains dans les poches, avec mes doigts et tout le reste, et j’ai enregistré pendant une journée. Ensuite, j’ai récupéré les CD et c’est en les écoutant qu’il s’est passé un truc ; j’ai compris que j’avais enfin compris, à savoir qu’en me réécoutant, j’ai été très très surpris d’entendre ce que j’entendais. En disant ça j’ai peut-être une image un peu prétentieuse, mais sur certains passages, j’ai pensé : « Si j’entends ça à la radio, je me demande qui est le pianiste, parce que… wow ! C’est incroyable ». Le truc c’est de se surprendre soi-même. Des choses se sont construites dans ces enregistrements. Des constructions qui ne sont pas conscientes : le simple fait de jouer, d’être avec l’instrument, dans le jeu, l’action du jeu… Certaines choses ne peuvent pas se passer si on réfléchit et qu’on se demande : « Mais qu’est-ce que je vais pouvoir jouer ? ». Il y a une stimulation de l’instrument à la fois sonore, kinésique… les gestes, le corps qui bouge, les émotions…

  • Finalement vous êtes d’accord avec les musiciens qui disent qu’une fois sur scène, il est trop tard pour penser.

JMA : J’irais même plus loin : je dirais que c’est une fois qu’on ne pense plus que la chose se passe. Tant qu’on pense, on est dans une distance à soi-même, on s’observe, ça peut aller vers l’autoévaluation, voire l’autocritique, le jugement ; c’est se demander : « Comment ma musique va être reçue ? ».

Dominique Répécaud a écouté les enregistrements, m’a donné le feu vert et m’a programmé en 2004 au festival Musique Action. Le concert a été assez bien reçu, j’ai eu de très bons retours. Après il ne s’est pas passé grand-chose parce que je n’avais pas de matériau. J’avais des traces du concert, comme il avait été enregistré, mais je ne suis pas allé frapper aux portes avec, je n’ai contacté personne. L’association EMIL 13 m’a proposé un concert en juillet 2005 dans le cadre de son festival. Il a également été enregistré, mais comme je n’ai pas fait de démarche il ne s’est rien passé non plus et c’est en discutant par la suite avec Bernadette Meyer, productrice du label EMD à Nancy, que j’ai évoqué le concert du CCAM à Vandoeuvre. Elle a voulu écouter, puis m’a dit : « On fait un CD ». J’ai dit oui !

Je commençais à comprendre. Cette façon de faire de la musique est un peu paradoxale. On est dans une proposition un peu hasardeuse : la règle est : « Je ne sais pas ce que je vais jouer et c’est justement pour ça, parce que je me mets volontairement devant une sorte de table rase, que les choses vont pouvoir se produire » ; et effectivement ça se produit.

  • D’où, sur le CD, la citation de Nietzsche sur le hasard dans « Le Gai savoir » ?

JMA : Oui, il est clair que c’est lié. Avant d’entrer en studio j’ai essayé de comprendre ce qui se passait. Mais le problème c’est que si on veut trop cerner les choses avant, on va jouer ça et non aller vers l’inconnu possible. C’est tout un dosage à faire. Le CD est sorti maintenant, ça fait deux ans que je l’ai enregistré : je maîtrise de plus en plus, ou plutôt je maîtrise le fait de ne pas maîtriser - du moins ne plus en avoir peur du tout. Au contraire, c’est un énorme stimulant. La possibilité d’assumer musicalement l’échec momentané : on peut se tromper quand on monte sur scène et qu’on ne sait pas ce qu’on va jouer. Avec le parcours que j’ai, il y a une mémoire, toute une accumulation de choses, tout un background qui fait qu’on ne sait pas ce qu’on va jouer mais qu’on n’est pas complètement démuni. Un bagage où on peut puiser. En étant sur scène, même en cas de blanc, on utilise cette chose-là, on en fait quelque chose de positif et de spectaculaire - sur scène, on propose de la musique à un public qui a payé sa place. C’est un raisonnement un peu marchand mais on n’a pas le droit d’utiliser les gens comme des cobayes, il faut quand même une proposition substantielle. Je pense que j’atteins une phase où si je monte sur scène en solo, il va se passer quelque chose, c’est sûr, je ne sais pas quoi, mais ça va se passer.

  • Vous disiez que ce désir de solo remontait assez loin. À cette époque, y avait-il des références ? Des disques, des expériences, des musiciens qui avaient pu créer ce désir ou ce besoin chez vous ?

JMA : Je ne me suis jamais posé la question en ces termes, ce n’est pas exactement un question d’influences mais plutôt de format solo : d’où vient ce désir ? Je peux essayer d’y répondre en improvisant ! Il y a déjà la formation classique. Sans le classique, y compris la musique du XXè, le piano est l’instrument soliste par excellence, celui pour lequel il existe le plus grand répertoire de soliste. Évidemment il y a la musique de chambre, les concertos, mais la littérature solo est sans égale. Dans le jazz, c’est un peu différent, il y a du solo mais ce n’est pas vraiment le centre. On peut dire que le trio jazz est centré sur le piano, mais il est beaucoup plus accompagnateur que dans le classique. Venir du classique, et donc inconsciemment avec le piano comme instrument roi, soliste, ça m’a peut-être donné cette idée. Ensuite, j’ai le très vague souvenir d’avoir vu à la télé – et soit dit en passant, de nos jours, ça ne pourrait absolument pas se reproduire – un concert de Cecil Taylor ; et ça, je pense que ça m’a marqué. Sinon, je suis assez solitaire et introverti, bien que ça n’apparaisse pas forcément.

  • Donc, votre personnalité se prête aussi à l’expression en solo ?

JMA : Oui, ce disque, je le vois comme ça ; et d’après les retours que j’en ai, j’y projette pas mal de choses de mon monde intérieur.

Ce qui est amusant, c’est que bien avant qu’il sorte on avait eu l’occasion de parler du disque vous et moi, et à chaque fois, vous me mettiez en garde : « Attention, ce n’est pas du jazz ! ». Alors comment le définissez-vous ? Ça veut dire quoi « du jazz, pas du jazz » ?

JMA : Je crois que si j’ai pu faire ce disque (J’ai l’âge que j’ai et on me dit souvent : « C’est votre premier CD ? », mais c’est seulement le premier sous mon nom) c’est parce qu’on me l’a proposé. Et j’ai accepté en ne sachant pas ce qu’il y aurait dedans mais étant parfaitement conscient, et assez fort, pour me dire que ce serait une substance intéressante. Et encore une fois, rétrospectivement, je me dis que j’ai bien fait : si j’avais fait un disque avant, au vu de ce qu’est celui-ci et de ce que j’ai compris, ç’aurait été faire un CD pour faire un CD, ce qui n’a aucun intérêt ; je ne voulais absolument pas faire ça.

— Un certain musicien français dit toujours : « Graver, c’est grave »…

JMA : Je ne sais pas qui c’est [6] mais je pense qu’il y a là une vraie question. On ne doit faire un disque ou publier un livre que si on a vraiment quelque chose à dire. Si c’est pour occuper le terrain, ça peut même être contre-productif. Alors pourquoi j’ai fait ce CD ? Justement parce que ce n’est ni du jazz ni de la musique classique, mais une musique non-écrite qui n’est pas pensée puis jouée mais jouée, et ce n’est pas de la musique contemporaine non plus.

  • Par ailleurs, ce n’est jamais « bruitiste. »

JMA : Non, enfin je ne crois pas. J’ai réussi à faire toutes ces choses à la fois - enfin, ce n’est pas à moi de dire ça… Disons que j’ai le sentiment d’avoir réussi une synthèse très personnelle - et c’est peut-être ça qui fait l’intérêt du disque - entre des choses extrêmement disparates qui m’ont influencé : exprimer ce qu’il peut y avoir de commun entre le jazz traditionnel tel le be-bop, que j’ai pas mal travaillé et que j’aime (mais quel intérêt de faire un disque de be-bop actuellement ?), Chopin et d’autres classiques que j’adore, Cecil Taylor et la musique contemporaine. Je pense avoir réussi non pas une espèce de mélange mais… je ne sais pas comment appeler ça ; pas « fusion » car c’est connoté, mais « création ». Autre chose.

  • Et cette démarche, qui définit votre disque, vous imaginez l’appliquer à une autre forme que le solo ? Ou bien est-ce la seule possible pour vous ?

JMA : Deux directions sont d’ailleurs d’actualité. Sur ce disque – encore une fois, ça peut paraître prétentieux, mais c’est comme ça, c’est sincère ! – un morceau me fascine, « L’Oiseau intérieur », parce je le trouve structuré. On entend une construction, un cheminement ; il dure six minutes et pendant ces six minutes, ça cause, il y a un début, un développement, une fin. J’ai contacté un concertiste classique qui joue aussi de la musique contemporaine et qui est prêt à le jouer, si j’arrive à en écrire la partition, parce qu’il peut donner lieu à une pièce de concert, comme s’il était composé. C’est une direction pour que ma musique ne soit pas uniquement improvisée et qu’elle puisse me survivre ; mais il faut une partition.
L’autre direction est l’improvisation collective, et j’ai un groupe avec trois musiciens :Franck Turpin, saxophoniste, Eric Hurpeau, guitariste et Alexandre Ambroziak, batteur. On a joué ensemble, mais on ne répète pas : je ne veux pas, ça n’a pas de sens. Répéter voudrait dire se répéter, chercher à cerner les choses. Est-ce que le concept peut s’appliquer à un groupe ? Je pense que oui, mais je dois réussir à communiquer aux autres ce que je ressens par rapport à cette façon de procéder. Ça se partage peut-être un peu en discutant, mais surtout en agissant, en jouant. Je peux traduire par mon jeu la manière de faire ça ensemble.

  • Deux mots m’ont interpelé dans votre disque : « hasard », donc, et « rythmolodie », qui me semble faire référence à Ornette Coleman, le penseur de l’harmolodie ; ce mot n’est pas le fruit du… hasard ?

JMA : Non ! Sur le disque, quatre morceaux forment une série [7]. L’enregistrement, qui a duré trois jours, a donné lieu à cent pièces improvisées ; quand on réécoute la série chronologiquement ça dure onze heures et demie ! On distingue des séquences, des récurrences, et toute une série de morceaux basés sur une idée que j’ai exploitée, un ensemble de variations, une harmonie. Je voulais des extraits de ce groupe de pièces sur le CD, donc j’ai fait un choix très difficile : j’hésitais, je trouvais telle pièce tantôt bien, tantôt nulle ; j’étais dans une espèce d’ambigüité totale. Je ne devrais peut-être pas le dire, mais a posteriori, vu le retour que j’ai eu sur ces pièces-là, je n’aurais peut-être pas dû les garder, mais enfin c’est fait.

Alors effectivement, c’est une référence à Ornette Coleman, un hommage à quelqu’un qui a su passer outre les notions théoriques traditionnelles : pour lui, le mot « harmolodie » est formé à partir d’« harmonie » et de « mélodie » ; ça signifie que soit il n’y a plus ni l’une ni l’autre, soit il y a les deux en même temps et on ne sait pas trop les distinguer. Alors pourquoi « Diagonale », « Verticale », « Horizontale » ? Parce qu’en théorie musicale, l’harmonie c’est l’aspect vertical, les accords. Si on accroche une partition au mur, les accords sont verticaux, empilés ; la mélodie, elle, est horizontale, ce sont des notes qui se suivent, c’est le chant. L’harmolodie, ce serait l’aspect diagonal : ni vertical, ni horizontal. C’est pour cette raison que j’ai choisi ces termes. « Rythmolodie », c’est un peu un clin d’œil… qui ne veut pas forcément dire grand-chose.

  • Pourtant, on peut aussi se dire que le mot rythmolodie convient bien au piano, instrument à la fois mélodique et percussif, rythmique.

JMA : Oui, le mélange entre harmonie et mélodie, on peut très bien le faire aussi entre rythme et mélodie, transformer une mélodie en transformant son rythme, ou prendre le même rythme et jouer les notes et ça transforme… il y a différentes connexions possibles. Quand on chante une mélodie, on chante en même temps son rythme, donc on peut la modifier en modifiant uniquement ce dernier, les choses sont imbriquées et c’est ça que j’ai voulu dire. Mais on me dit que ces pièces sont un peu austères…

  • Deux ans après l’enregistrement, pensez-vous qu’aujourd’hui le résultat serait différent, ou bien que la page est tournée et que vous continuez votre chemin ?

JMA : Le fait d’enregistrer ces onze heures et demie de musique, ces 100 pièces, mais surtout de tout réécouter pour faire des choix est en soi une expérience qui m’a ré-alimenté, transformé ; si j’avais fait une autre séance juste après, j’aurais peut-être encore évolué. C’est un peu l’état dans lequel je suis aujourd’hui : depuis, j’ai compris, objectivé, cerné certaines choses, et le bagage dont je parlais, avec lequel je suis arrivé à mon premier concert en solo, s’est non seulement étoffé mais structuré ; je peux désormais y puiser plus précisément, je dispose de tout un attirail d’éléments.

  • Des projets de concerts en solo ?

JMA : Non, aucun ; le CD est sorti le en novembre 2008, la production se charge des relations presse. De mon côté il faudrait que je trouve un agent, parce que je ne suis pas très fort en démarchage. Il est hors de question qu’en j’envoie le CD comme ça tous azimuts, car je sais ce qu’il advient dans ce genre de démarche, les CD sont placés en classement vertical, la plupart du temps. Je préfère faire des envois ciblés ou donner le disque au gré rencontres à des gens que ça intéresse vraiment.

Interview réalisée le vendredi 28 novembre 2008. Merci à Emilie Desassis pour la retranscription.

par Denis Desassis // Publié le 1er février 2009

[1Ornette Coleman est en effet l’inventeur du concept d’harmolodie.

[2EMD : les Etonnants Monsieur Durand.

[3Ecole Nationale Supérieure d’Electricité et de Mécanique, à Nancy.

[4Actuel président de Music Academy International (M.A.I.)

[5Centre d’Initiation Musicale, Conservatoire à rayonnement communal de la ville de Bar-le-Duc.

[6Christian Vander, leader de Magma.

[7Pièces 3 à 6 : « Horizontale », « Circulaire », « Diagonale », « Verticale »