Chronique

Jeff Lederer & Mary LaRose

Schoenberg on The Beach

Jeff Lederer (fl, cl), Mary LaRose (voc), Hank Roberts (cello), Patricia Brennan (vib), Michael Formanek (b), Matt Wilson (d) + Marty Ehrlich (clb).

Label / Distribution : Little (i) Music

Dans la même veine que leur précédent Out Here consacré à Dolphy, la chanteuse Mary LaRose et Jeff Lederer invitent une équipe légèrement modifiée (Michael Formanek remplace Nick Dunston à la contrebasse, Hank Roberts fait de même pour Tomeka Reid au violoncelle) pour visiter un autre patrimoine, celui d’Arnold Schoenberg, influenceur majeur de toute la musique contemporaine, entraîné dans tous les mouvements et les hoquets du XXe siècle. L’approche de LaRose et de son compagnon et co-leader le clarinettiste et flûtiste et arrangeur Jeff Lederer, est semblable à l’hommage dolphyen : interpréter des morceaux de Schoenberg en les déconstruisant, en intégrant le langage d’un jazz très contemporain dans des lieder du maître ou, à la marge, ceux de son élève Webern. C’est ainsi que « The Pale Flowers Of Moonlight », tiré du Pierrot Lunaire, offre un très beau dialogue entre Roberts et le vibraphone de Patricia Brennan, amené à la rupture par la clarinette basse de Marty Ehrlich, invité pour l’occasion.

C’est une lecture très personnelle de l’œuvre de Schoenberg ; ce qui pourrait passer comme une approche un peu rude si on n’y prêtait attention pose en réalité un questionnement très profond : quel a été le rôle du sprechgesang dans le jazz vocal contemporain ? Est-ce qu’une approche profondément ancrée dans le jazz (« Blumengruss », texte de Goethe, partition de Webern) peut donner une autre vision de la seconde école de Vienne qui a considérablement nourri les musicien·ne·s de jazz ? Schoenberg On The Beach, sans répondre doctement à ces questions fait avancer la réflexion, notamment grâce à l’expertise de Lederer à propos des partitions. Le clin d’œil à L’Ode à Napoleon Buonaparte confié à Formanek dans « I Gaze Upon » en atteste.

On nous dit que Jeff Lederer, non content de permettre à Mary LaRose d’être très à l’aise dans ce sprechgesang transmué, aurait eu le fils de Schoenberg comme professeur de mathématiques à Los Angeles, ce qui lui donna l’occasion de voir souvent le compositeur se promener sur la plage. Comme pour Dolphy et Out Here, il y a donc une approche très intime dans son jeu, même si cette histoire de génie sur la plage est sans doute aussi un clin d’œil amusé à Philip Glass… L’orchestre questionne le poids culturel et philosophique de la musique, ce qui constitue une approche très intéressante.

par Franpi Barriaux // Publié le 31 mars 2024
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