Chronique

Kevin Norwood Quartet

Reborn

Kevin Norwood (voc), Vincent Strazzieri (p), Sam Favreau (b), Cedrick Bec (dms).

Label / Distribution : Ajmi Series

De l’antre de l’Ajmi, digne label avignonnais, est sortie cette re-naissance, fruit d’une résidence de trois jours dans les locaux de l’association et d’une mise en boîte en deux jours au studio de La Buissonne.

Ce titre, Reborn, suggère-t-il que Kevin Norwood, le chanteur-leader, et Vincent Strazzieri, le pianiste, Provençaux expatriés dans la capitale, ont pris un nouveau départ en revenant se joindre à deux piliers de la jeune garde phocéenne Sam Favreau (contrebasse) et Cédrick Bec (batterie) ? En tout cas, il traduit le rapport circulaire au temps qu’entretient Norwood. Sa musique s’en nourrit. À preuve - éternel retour ? -, on constate ici une appétence prononcée pour le swing, étonnante de la part de si jeunes musiciens qui, assez loin de l’avant-garde, mettent en avant la pulsation ternaire fondamentale. Par ailleurs, la rythmique afro de « Real Brother » est manifestement une quête des origines et un manifeste d’authenticité.

L’ensemble est diablement créatif. La voix s’entrelace langoureusement aux volutes du piano et s’articule dans les déclinaisons de la contrebasse et de la batterie, en particulier sur les pistes latines (« Keep The Headland »). Naviguant dans les eaux d’un Bill Evans, Strazzieri accentue le romantisme des mélodies et des textes par des phrasés en tension vers le out tout en conduisant le groupe vers l’axe central, qui reste la chanson. Favreau, redoutable d’efficacité et riche de sa culture funk, sait gérer la place qui est la sienne, via un jeu tout en économie, au sens étymologique de « gestion des affaires de la maison » : on lui sait gré de fournir l’armature centrale en construisant des lignes pleines de bounce et des solos toujours dans l’esprit de la mélodie originale, sans sacrifier un son boisé très personnel. Quant au jeu de Bec, notamment sur les cymbales, on peut le qualifier de coloriste, en particulier sur la ballade « Isaac », magnifique évocation d’une naissance - tiens, encore ! - qui pourrait se dérouler dans la synagogue médiévale de Carpentras. Mais c’est aussi un redoutable percussionniste : sa caisse claire très précise ancre le tout dans l’universalité du jazz ; son solo sur « Blues for Mac » en est l’évidente illustration, et son timbre sur le duo « Time Flies » donne au chanteur l’élan dont il a besoin pour jouer de toutes ses inflexions.

Car il faut évoquer la voix de Kevin Norwood ! David Linx évoque à son sujet Betty Carter, mais pour nous, c’est davantage à celle d’Andy Bey qu’elle s’apparente. Même prédilection pour l’aigu, typique des voix masculines dans la tradition afro-américaine, mais sans négliger pour autant les incursions dans le grave qui, venues du gospel, font se pâmer les midinettes, comme était censée le faire celle de Chet Baker… Même jeu sur l’étirement des syllabes, bras d’honneur vocal - tout en fainéantise feinte - au travail forcé des esclaves noirs. Même tendance au murmure qui s’adresse à tout-e un-e chacun-e dans son individualité. Si l’on ajoute à cela son parcours de saxophoniste, qui l’autorise à se lancer dans des impros « rollinsiennes », on comprendra que la résurrection dont il est question ici est celle du jazz, tel le Phénix renaissant de ses cendres…