Chronique

Laïka Fatien

Look At Me Now !

Laïka Fatien (voc), Pierre de Bethmann (p), David el Malek (ts), Jules Bikoko Bin’Jami (b), Alban Sautour (g), Dré Pallemaerts (dm)

Label / Distribution : Body & Soul /Night and Day

Il semble difficile d’imaginer une chanteuse évoluant avec grâce, maîtrise et personnalité dans des contextes aussi variés et risqués qu’un simple duo avec une batterie galopante, une reprise ralentie et rubato d’« Eleanor Rigby » (des Beatles) ou une adaptation déchirante de la ballade d’Abbey Lincoln « Throw it Away ». Pourtant, telle est Laïka Fatien. Et la chanteuse recèle d’autres précieuses facettes, notamment une grande capacité de relecture des standards : ici « The Best Is Yet To Come » dans une version énergique très personnelle à l’opposé de l’académisme joyeux que l’on trouve chez Stacey Kent, là un « Inchworm » d’une candeur enfantine…

Ainsi, plusieurs qualités majeures se dégagent du disque : d’une part, la faculté d’interpréter les textes, de les dire. Rien d’étonnant à ce que la chanteuse ait une approche digne d’une comédienne puisque, par le passé, elle a multiplié les expériences théâtrales aussi bien que musicales (avec notamment, en 1996, A Drum Is a Woman, la comédie musicale d’Orson Welles et Duke Ellington). Cette relation au texte passe aussi par l’écriture, puisque Laïka Fatien propose ici plusieurs textes personnels apposés sur des compositions existantes (par exemple « Serenity » de Joe Henderson et « This Is For Albert » de Wayne Shorter). D’autre part, elle est entourée d’un groupe d’une remarquable homogénéité et d’un extraordinaire sens de l’écoute : Pierre de Bethmann et David El Malek en particulier, vieux compagnons de route au sein du groupe Ilium ou ailleurs, sont parfaitement complémentaires, le saxophoniste enrichissant le chant d’ostinatos (« Just Say Goodbye »), de chorus légers et parcimonieux, et parfois de renforts à l’unisson, tandis que le pianiste parvient à extraire l’essence même de l’émotion d’une ballade (« Where Are the Words » et surtout l’indispensable « Throw it Away »).

La période actuelle est propice au jazz vocal ; à chacun de fouiller pour y trouver des perles cachées. Sans aucun doute, Look At Me Now ! en est une magnifique, et il faudra suivre Laïka Fatien, qui possède déjà les qualités des grandes : une voix, le don de savoir s’entourer et celui de servir les textes (et non s’en servir), tout en ayant de la personnalité.