Portrait

Mettre des mots sur la musique

Le Mot et le Reste est une maison d’édition bien connue des passionné.e.s de musiques.


Nous faisons les portraits de maisons de disques indépendantes qui sont regroupés dans le dossier Histoire de labels, la belle histoire et le jazz étant né avec le disque (ou inversement), le rapport entre l’objet disque et son.sa propriétaire est très fort. On connaît cette pulsion qui pousse certaines personnes à collectionner les vinyles, à ne jurer que par tel label, tel.le illustrateur.trice, telle collection. Et ce rapport affectif à l’objet peut se retrouver également chez les lecteur.trice.s. de livres, pas moins raisonnables !

Histoire de mots, de musique et du reste

Imaginez une collection de livres sur la musique, les musiques, dont le format et la charte graphique s’apparentent à une pochette de vinyle, identifiable au premier coup d’œil.
Cette collection, c’est celle que propose la maison d’édition Le Mot et le Reste depuis 2006. De nombreux titres de cette collection ont été chroniqués dans nos colonnes et le seront encore.

Le Mot et le Reste a été fondé à Marseille en 1996, par Yves Jolivet qui en est toujours l’actuel éditeur et qui a répondu à nos questions. Ce Breton bigouden émigré dans la cité phocéenne y réalisait des livres d’artistes. En cherchant un support à la réalisation de ces bouquins, il a créé la structure adéquate. Et comme il demandait des « mots » à des artistes et qu’il s’occupait « du reste » pour les publier, le nom s’est imposé naturellement. D’une maison d’édition d’artistes en 1996, la structure a évolué vers la poésie, la littérature puis, en 2006 avec la publication de Rock pop, un itinéraire bis, de Philippe Robert, à la musique. C’est la musique aujourd’hui qui concerne plus de 60% du catalogue. La structure publie aujourd’hui deux ouvrages sur la musique et deux autres de littérature chaque mois, preuve d’un dynamisme et d’une volonté à toute épreuve.

un savant dosage entre les styles, brandissant comme étendard le pluralisme de sa ligne éditoriale

Les choix éditoriaux sont le fait d’Yves Jolivet qui opère un savant dosage entre les styles, brandissant comme étendard le pluralisme de sa ligne éditoriale. « Il existe des ouvrages chez nous concernant les musiques « classiques", notamment les 3 tomes sur les musiques savantes de Guillaume Kosmicki. Concernant les musiques du monde, là aussi nous avons des ouvrages anthologiques sur les musiques en Bretagne, en Occitanie, au Brésil, en Afrique et en Jamaïque, ainsi que sur les musiques orientales. Nous avons aussi une monographie sur Alan Stivell. » Les sujets traités, biographies de musicien.ne.s, essais romancés sur une personnalité musicale, entretiens, études, anthologies… sont choisis par l’éditeur. Soit parmi les dizaines de tapuscrits reçus, soit en commandant un ouvrage à un.e auteur.trice, soit en cherchant à combler un manque dans les collections avec des rééditions ou des traductions.

On note une certaine récurrence de livres concernant The Beatles et The Rolling Stones, avec comme charnière centrale Beatlestones de Yves Delmas et Charles Gancel.
Quant au jazz, blues et autres musiques connexes qui sont celles dont nous parlons à Citizen Jazz, on ne peut que recommander les ouvrages concernant Bitches Brew, Gavin Bryars, les musiques expérimentales, la Great Black Music, Bud Powell, Albert Ayler, Kind of Blue, Frank Sinatra, Sun Ra, Robert Johnson, John Coltrane, le blues, le free jazz, Weather Report, Moondog, Jimi Hendrix, le jazz rock…

Avec à chaque fois, ou presque, ce format grand livre, cette couverture crème, le titre rouge et le bandeau central qui font de chaque livre un objet de convoitise pour les passionné.e.s de musiques. Parfois, la couverture présente une photo plein cadre car «  cela dépend des axes déployés dans les ouvrages. Si celui-ci est strictement factuel, nous privilégions les vignettes sur la couverture, si une couleur plus littéraire se déploie, les couvertures sont travaillées différemment. »
Ils sont nombreux, les rêves d’étagères remplis de livres des éditions Le Mot et le Reste… Mais avec plus de 300 références déjà publiées sur les musiques, il faut de la place.
Une des raisons pour lesquelles le lectorat s’attache à cette maison d’édition est bien le soin apporté à l’objet livre, sa mise en forme, son format et sa facilité d’écriture. Car autant les personnes qui écrivent sur la musique sont souvent journalistes et habitué.e.s aux formats courts, aux textes incisifs et personnels, autant l’écriture d’un livre demande quelques concessions pour la fluidité et la compréhension. Tout ce travail d’édition, de relecture/correction, de suivi et bien sûr de mise en vente… c’est le reste.

Une maison d’édition est toujours sur le fil, notamment d’un point de vue économique

La plupart du temps, les ouvrages de la collection Musiques proposent de raconter une histoire plutôt que d’analyser la musique en termes techniques et musicologiques. Il y a là une conception littéraire de la musique. De la même façon, Le Mot et le Reste ne proposent pas d’accompagnement musical à leur collection, comme un CD, car d’une part les droits à négocier sont trop nombreux et d’autre part ils tiennent à garder le format original, sans verser dans les hybridations diverses, afin de conserver la cohérence qui rend cette collection si particulière.
Le Mot et le Reste est une maison d’édition qui tient le coup, résiste à l’invasion des écrans de télévision et d’internet. Mais c’est une résistance de chaque instant : « Une maison d’édition est toujours sur le fil, notamment d’un point de vue économique. Les revers peuvent provenir de sources inattendues et la pandémie actuelle le prouve. Reste que nous rémunérons 6 personnes actuellement. C’est à croire que le format livre a encore de bons atouts, et le tissu des librairies n’est pas des moindres en France. Comme vous avez pu le lire ici ou là, les libraires ont plutôt bien résisté à la pandémie et les éditeurs, de façon générale, n’ont pas vu leur chiffre d’affaires plonger d’une façon dramatique. Notre lectorat est resté identique, hormis pour la vente en ligne sur notre site internet qui s’est beaucoup développée en avril/mai dernier puis en fin d’année, en particulier sur le domaine musical. »
Cette vision plutôt optimiste de l’éditeur est illustrée par deux chiffres, ceux des meilleures ventes qui sont un ouvrage de littérature -la traduction de Walden, de H. D. Thoreau, paru en septembre 2010 - à 30000 exemplaires et En studio avec les Beatles, de Geoff Emerick, paru en novembre 2009, à 15000 exemplaires.