Chronique

Moger Orchestra

There Must Be A Passage

Label / Distribution : Musiques Têtues

Né au cœur de la Bretagne, le Moger Orchestra est une de ces bonnes surprises que nous offrent très souvent les grands formats. À cheval entre un idiome jazz très raffiné et une pop lointaine et élégante qui n’est pas sans faire songer à John Greaves et plus globalement à l’école de Canterbury, le Moger doit avant tout son charme à sa volonté de sonner collectif ; certes, on repèrera des individualités marquantes comme Sakina Abdou qui, après les Pensées Rotatives, nous confirme qu’elle est de toutes les belles équipes. Dans ce Moger, qui raconte des histoires en anglais où le mystère et la sorcellerie le disputent à l’électricité (« Salted Witchery », où l’on apprécie les cordes de Léonore Grollemund et Floriane Le Pottier), on compose tous ensemble, avec beaucoup de polyvalence ; cela se ressent dans la dynamique globale de l’orchestre. « Asphalt Life », qui doit beaucoup à l’échange entre le saxophone baryton de Régis Bunel et la clarinette basse d’Étienne Cabaret, est une orgie de souffle et de cordes où le groove et les ruptures sont partout.

L’octet brille par son expertise dans l’exercice. On dénombre d’ailleurs de nombreux habitués des grands orchestres hexagonaux : le batteur Nicolas Pointard, membre du Kami Octet et de Nautilis, où il croise Christelle Séry, qu’on a aussi entendue dans l’ONJ et chez Tous Dehors. Cette dernière est d’ailleurs, avec le bassiste Dylan James, la voix de l’orchestre, qui se nourrit de l’électricité de sa guitare ; son énergie irradie « The Moss » au milieu des cordes. Lorsqu’elle chante « The Bluest Water », on s’enthousiasme pour cette jolie surprise qui cligne de l’œil vers les Selma Songs de Björk dans Dancer in The Dark et impressionne par la fluidité des musiciens dans cette chanson à la fois très simple et pleine de relief, où Abdou est le formidable élément perturbateur, sur la brèche pour dynamiter l’orchestre.

Porté par l’association Musiques Têtues qui agit en réseau dans le Centre Bretagne, There Must Be a Passage du Moger Orchestra a le charme de ces œuvres artisanales qui ignorent le luxe qu’elle produisent. Et si la couleur générale de l’orchestre doit beaucoup à la voix légèrement éthérée de Dylan James, Anglais de Breizh que l’on découvre avec plaisir, c’est la dynamique commune qui l’emporte, à l’image de la base rythmique irréfragable de « Empty House » dont le mouvement nourrit l’imagination de l’auditeur autant que les textes poétiques à la noirceur théâtrale. Une nouvelle uchronie pop pleine d’envie et de promesses.

par Franpi Barriaux // Publié le 17 mars 2024
P.-S. :

Christelle Séry (g, voc), Sakina Abdou (as, fl, voc), Régis Bunel (bs), Etienne Cabaret (bcl), Dylan James (voc, b), Léonore Grollemund, Pauline Willerval (cello, voc), Floriane Le Pottier (vln), Nicolas Pointard (dms)