Chronique

Serge Adam / Christelle Séry / Tania Pividori

Journal d’une apparition

Serge Adam (tp, elec, fx), Christelle Séry (g, fx, voc), Tania Pividori (voc)

Label / Distribution : Quoi de Neuf Docteur

Robert Desnos est l’une des voix du XXe siècle, une voix qui s’incarnait dans les lettres et les vers, dont le caractère rythmique et chantant apparaît à la moindre lecture, fût-elle pour soi-même. Une voix qu’il décrivait ainsi : « Les tornades tournent dans ma bouche ». C’était dans le recueil Corps et Biens, paru en 1930, dans sa période la plus proche de l’Internationale Surréaliste. De ce livre magnifique, où la plupart des poèmes sont écrits dans une demi-conscience, le trio où s’impose le trompettiste et électronicien Serge Adam a fait un disque. Ou plutôt le Journal d’une Apparition, qui baguenaude d’atmosphères fantomatiques (« L’asile ami ») en chanson réaliste (« De Marennes à Cancale ») avec une certaine agilité.

Pour l’accompagner dans cette aventure, Adam s’est entouré de deux personnalités aux franges de la musique contemporaine et de celle dite « du monde ». Christelle Séry, qu’on avait vu fugacementaux côtés de Laurent Dehors, est guitariste et chanteuse. Elle parvient à stimuler des illusions auditives étouffantes pour « L’Ode à Coco  » ; elle offre aussi sur le bel « Idéal Maîtresse » des ornementations exemplaires au sprechgesang halluciné de Tania Pividori. Celle-ci, habituée des chants traditionnels italiens et camarade de jeu de figures de la musique improvisée telles Mirtha Pozzi ou Maggie Nicols, est en terrain familier au creux des mots de Desnos. L’orchestre sait donner à chacun des textes une identité propre, habillée à merveille par toute une batterie d’effets et de pédales, mais aussi une technique vocale irréprochable et une trompette aux velléités atmosphériques.

Le jeu de Serge Adam est le liant, l’ingrédient indispensable pour que les univers surréalistes (pour une fois qu’on peut utiliser ce mot correctement !) de Desnos prennent vie. Dès « Maître des Pals », qui ouvre l’album, on se souvient que le trompettiste a été au début de l’aventure d’Archimusic, et l’on retrouvera ce goût pour la théâtralité qui fait songer aux 13 arpents de Malheur [1]. C’est sur le célèbre « P’Oasis », que Desnos dédia à Aragon, que le trio livre sa plus belle interprétation, et « Les Pensées arborescentes qui fleurissent sur les chemins des jardins cérébraux » sont décidément bien cultivées par ces musiciens qui livrent un disque singulier et attachant.

par Franpi Barriaux // Publié le 19 mars 2017

[1Même s’il ne faisait plus partie du Big Band sur ce disque.