Chronique

Omer Avital

Qantar

Omer Avital (b), Asaf Yuria (saxes, perc), Alexander Levin (ts), Eden Ladin (p, elp), Ofri Nehemya (dms)

Label / Distribution : zamzama records

Le contrebassiste new-yorkais d’origine israélienne effectue un retour « chantant » avec un album synthétisant ses appétences musicales. Bien que le titre de ce disque n’ait rien à voir avec la notion de chant (si ce n’est quelque homophonie), puisqu’il n’est rien de plus qu’une déformation arabisante et ludique du terme « quintet », c’est une private-joke qui tombait à point nommé dans la mesure où le groupe s’est rendu compte que le kantar était aussi une unité de mesure traditionnelle en Méditerranée Orientale ! Omer Avital surjoue ici son rôle de « Mingus israélien », rendant hommage à son mythique prédécesseur en fin d’album : le titre « Know What I Mean » n’est rien d’autre qu’une paraphrase du tubesque « Boogie Stop Shuffle » (le seul titre du grand Charles ayant accédé au statut de « hit »), reconstitué sur la grille harmonique de « I Got Rhythm ». Non sans humour cependant, puisque, avec son groupe remarquable, il se plaît à y introduire quelques ruptures rythmiques et mélodiques. C’est diablement intelligent. Histoire de ne pas trop souffrir de son statut d’héritier ?

M. Avital marche plutôt sur les pas du légendaire Ahmed Abdul-Malik par sa capacité à intégrer des musiques « orientales » et les sons bleutés les plus actuels de New-York, où il vit depuis près d’un quart de siècle.

Né en Israël, d’un père marocain et d’une mère yéménite, il synthétise ses univers d’origine et d’accueil dans un chant à la poésie insondable. Il revendique son patrimoine mizrahim (la culture des Juifs d’Orient, jazzifiée ici dans le dansant « Hamina »), à l’en croire longtemps méprisé au sein de la société israélienne du fait des porosités qu’il entretient, par la force des choses, avec la culture arabe. De fait, des incursions gnawas parsèment certains titres : le remarquable (multi)saxophoniste Asaf Yura n’hésite pas à se saisir des karkabous (ici libellées karakabas), ces castagnettes métalliques des musiques sahariennes, pour inciter à la transe collective, cependant que la contrebasse résonne comme un guembri.

La fusion des univers musicaux que forge le groupe est relativement ancienne, comme le prouve une composition comme « Daber Elay Africa », issue d’un bœuf en 2010 à Tel-Aviv avec le très monkien pianiste new-yorkais Kirk Lightsey et un percussionniste local (le pianiste du disque fait ici des merveilles). L’appel de la Grosse Pomme n’en marque pas moins la moitié des titres. Ainsi du swing lancinant sur « Immigration » (clin d’œil à l’arrivée d’Avital à New-York, la légende voulant qu’il ait passé la frontière aux côtés de son compatriote et confrère désormais starifié Avishai Cohen - le contrebassiste). Ainsi du grand sens de l’espace dans le jeu du batteur ou encore des incursions latino (« Bambolero », au titre révélateur), ou bien encore des références au répertoire des standards (citation de « A Child Is Born » sur « Beauty And The Beast »), voire d’un profond sens du blues (solo doux-amer du leader sur « Cool Song »).

Le tout sans perdre de vue une invitation permanente à la danse et au chant dont Omer Avital et ses compères ne peuvent se départir car avec ce groupe, le jazz est plaisir des sens.