Chronique

Bill Evans

Inner Spirit

Bill Evans (p), Marc Johnson (b), Joe LaBarbera (dm)

Label / Distribution : Resonance Records

En 1979, Bill Evans revient en Argentine avec ce qui devait être son dernier trio. Son art du jeu en ricochets avec son trio touche alors au firmament. Le batteur d’alors, Joe LaBarbera, développe des couleurs qui sont autant de traits d’orchestre (solo aux mailloches confondant sur « Nardis » notamment) aux consonances spirituelles - il se souviendra d’ailleurs de ce concert comme d’une « expérience religieuse », selon ses propres termes. Le contrebassiste, Marc Johnson, déroule des glissandos d’une poésie infinie et des harmoniques stellaires. Evans, égal à lui-même, donc plus que sublime, crée des atmosphères vibrantes de toutes les couleurs du swing, des arcs-en-ciel musicaux qui sont autant de transports oniriques pour ses partenaires et lui-même, irradiant le public d’ondes multicolores. Désormais totalement libéré des démons de la toxicomanie, son jeu est d’autant plus percussif, si bien qu’il ne demande rien d’autre à ses musiciens que de l’espoir.

Les introductions des morceaux sont la plupart du temps jouées rubato, mais c’est justement le pianiste, primus inter pares, qui convoque le swing, avec une élégance furtive quasiment imperceptible. La fameuse dialectique de la présence et de l’absence, dont on a fait l’une des caractéristiques de son jeu, est ici portée au pinacle. Tout se passe comme s’il composait en même temps qu’il joue. La mélancolie d’ensemble sied au public, comme un écho à la « face sombre du tango » qui recouvre un pays désormais soumis à une dictature sanglante. Le pianiste, lui, vient de perdre son frère. Moins d’un an après ce concert, il décèdera. Mais il aura su donner au public argentin des rêves de liberté. Ces derniers résonnent encore sur ce live, d’abord édité en mode « pirate », mais dont les ayants-droit vont désormais pouvoir percevoir quelque dû, grâce à la présente édition du label Resonance, branche patrimoniale de Rising Jazz Stars, un label « non-profit » dédié à une forme de justice artistique.

par Laurent Dussutour // Publié le 22 janvier 2023
P.-S. :

Livret passionnant avec témoignages des organisateurs, du contrebassiste et du batteur, et analyse par le biographe de Bill Evans.