Chronique

Petit/Favriou/Baysse

Écorchure

Jean-Luc Petit (ss, ts), Jérémy Baysse (g, cla, elec, fx), Fabrice Favriou (dms)

Label / Distribution : Creative Sources

Dans ses précédentes rencontres, le saxophoniste Jean-Luc Petit nous avait habitués à la précision du geste, au souci de l’atome, que ce soit avec la tromboniste Christiane Bopp, ou bien lorsqu’il se posait une question métaphysique avec Jean-Marc Foussat, D’où vient la lumière ?. Sur la forme, Écorchure paraît bien différent. D’abord parce que le multianchiste abandonne son goût pour la clarinette contrebasse et va vers le saxophone sopranino, plus preste mais pas forcément moins puissant. Ensuite, la composition même de l’orchestre laisse entendre que l’on ne va pas tout d’abord s’intéresser aux détails : dès « Écorces », la guitare électrique de Jérémy Baysse, percluse d’effets en tous genres et de cataractes qui carambolent le saxophone, nous renvoie une virulence peu commune. Brute, drue et bosselée, ce sont les trois adjectifs qui définissent le mieux cette écorchure, d’autant que Petit retrouve Fabrice Favriou à la batterie. On l’avait connu à la guitare avec Julien Touéry dans un beau disque sorti chez Fou Records. Sa conversion aux baguettes se fait avec autant de nervosité.

Il serait faux cependant de penser que nous sommes face à une scarification à gros traits. Certes, le son pénètre telle une lame, rompt l’« écorce », mais c’est pour mieux toucher la fibre et revenir à ce qui passionne depuis toujours Jean-Luc Petit : le sens de la matière, le grain, le relief et même l’infiniment petit. On le ressent presque physiquement dans le magnifique « Fibre » qui vient naturellement sous le derme, sous l’écorce. Ici, la guitare de Baysse, qu’on avait pu entendre en quintet précédemment, tombe comme une pluie fine sur un saxophone sinueux qui pénètre la chair à la manière d’un scalpel. La batterie palpite, révèle quelques résistances, réveille des fièvres et appuie sur les points de tension pour nous laisser sur le qui-vive, jusqu’au quasi-silence.

C’est dans cet état second que l’on approche du dernier morceau d’un album assez théâtralisé. Comme si l’on touchait aux tréfonds de l’âme, comme si une fois passée l’écorchure on rentrait au plus profond de soi, les anches de Petit se mettent à souffler à l’unisson d’une guitare lointaine dont les micros jouent avec une phrase qui semble sortir d’un rêve dérangeant, enregistrée, sans doute subtilisée à une radio quelconque : « Les personnes grincheuses avec des vieux visages, si elles ne sourient pas, c’est encore plus vieux et c’est encore plus moche ». Cette phrase, hors de tout contexte, prend un tour burlesque, d’autant qu’elle se répète, qu’elle envahit les saturations et se confronte à la virulence soudaine du ténor. Il en résulte un brouhaha, un combat, presque un manifeste pour les vieux visages, les rides, les marques, les plis d’éternité qui laissent de la matière et du relief. On y revient, toujours.