Chronique

Jean-Luc Petit et Christiane Bopp

L’écorce et la salive

Jean-Luc Petit (cbcl, ss), Christiane Bopp (tb)

Label / Distribution : FOU Records

Lorsqu’en 2014, Jean-Luc Petit fait paraître sur le label Fou Records Matière des Souffles, le clarinettiste contrebasse définit au mieux son biotope musical. Les infra-basses de son instrument sont un produit brut qu’il convient d’affiner pour jouer tout autant sur la densité que sur la finesse. Petit est également dessinateur, il sait agir sur la trame et l’épaisseur du trait. Avec à ses côtés le trombone de Christiane Bopp, le crayonné prend du volume, il devient presque palpable. Un fusain charbonneux à l’instar de « L’ombre du gel », où les jeux d’embouchure et les gestes calculés de la coulisse rivalisent de profondeur avec une clarinette. Christiane Bopp, que l’on a entendue dans l’ensemble Dédales de Dominique Pifarély ou le tentet de Joëlle Léandr,e a par ailleurs une grande pratique de la musique ancienne, qui laisse çà et là quelques fragrances mystiques (« L’ombre s’efface », lent chassé-croisé avec le silence).

Dans L’écorce et la salive, qui est aussi l’un des titres les plus abrupts de l’album, l’improvisation s’inspire des poèmes de Bernard Noël. L’auteur s’interroge depuis toujours sur le sens donné aux mots ; les musiciens tentent de transcrire cet univers en déconstruisant totalement toutes les interactions possibles entre leurs instruments, comme pour mieux répondre aux vers de la pochette :

le centre fuira mon avancée
et la beauté se lèvera
belle comme tout l’intervalle

L’intervalle, c’est cet espace cotonneux où les deux soufflants s’effleurent entre le ronflement et le sifflement. La démarche très précautionneuse, qui pourrait confiner à l’immobilisme, laisse paradoxalement sur le qui-vive. Dans « Au pays des plis », le silence est écorné par des cris soudains, d’autant que Petit a abandonné la clarinette contrebasse pour le saxophone sopranino. Ce qui pourrait tenir du grand écart n’est qu’un simple inversement de rôles ; l’anche vibrionne autour d’une embouchure qui crépite de manière irrégulière, toujours pour mieux surprendre. L’écorce et la salive, c’est en quelque sorte le mélange du corps et de la matière, de l’organique et du minéral. Une alchimie complexe mais fulgurante.