Chronique

Pierre Bensusan

Vividly

Pierre Bensusan (g, voc, b, perc), Invités : Guo Gan (erhu), Franck Sitbon (kbd), Mah Damba (voc), Dally Kouyate (voc), Claudette Deslonchamps (voc), Woridio Tounkara (voc), Yvon Guillard (tp, bugle) Michel Benita (b) Hector Gomez (perc), Jacky Molard (vl)

Label / Distribution : DADGAD Music

Dixième album de Pierre Bensusan, Vividly offre à nouveau l’occasion d’apprécier l’évolution de ce compositeur et guitariste acoustique hors norme, chantre de l’open tuning DADGAD, citoyen musical du monde et infatigable voyageur parcourant régulièrement la planète lors de ses tournées en solo.

Bensusan l’a parfois expliqué : chez lui le processus créatif est assez particulier, littéralement comparable à une naissance : il peut porter les morceaux en lui, comme en gestation, pendant des années voire des décennies avant qu’ils ne soient mûrs, prêts à être offerts au public. Sous cet éclairage, Vividly se présente de façon paradoxale, proposant à la fois une certaine continuité dans l’approche technique de l’instrument et une hétérogénéité d’écriture liée à cette démarche de création.

Après avoir abandonné l’électronique (loops et autres effets) vers la fin des années 90, Pierre Bensusan poursuit son inlassable exploration du champ des possibles de la guitare acoustique solo. Le fait de devoir porter seul rythme, harmonie et mélodie l’amène à développer de façon impressionnante un jeu très polyphonique, ou voix basses et lignes aiguës virevoltent, se quittent et se retrouvent comme si elles menaient une existence propre, indépendante. Si cette orientation de jeu est désormais une tendance de fond chez lui, elle atteint sur Vividly un niveau inégalé. Cette maîtrise instrumentale est particulièrement saisissante sur des morceaux tels que « Kiss Landing » ou « Pirogue » qui, n’étant pas à l’origine interprétés en solo intégral, sont donc joués ici dans des arrangements denses et complexes, ou encore sur « DADGAD Café » et ses incursions jazzy qui rappellent parfois Ralph Towner.

Les compositions sont, on l’a dit, très variées, évoquant plusieurs périodes de la carrière de l’artiste, selon leur ancienneté. Ainsi, on entendra deux adaptations de textes traditionnels, « Par un beau soir de dimanche » et « La blanche biche », dont l’esprit ramène à 1977 et à l’album 2. D’autres morceaux tels « Astres et gnomes » ou « Veilleuse » rappellent – un peu trop peut-être – d’autres pièces de son répertoire. La nouveauté la plus flagrante est la place accordée à la voix : la moitié des quatorze titres de Vividly sont des chansons, dont les textes sont très éclectiques, à l’image de la musique de Bensusan en général. Sa tessiture s’élargit : on lui connaissait un registre relativement aigu, ici il s’aventure avec succès dans les basses. Et les chansons ne sont pas prétexte à « alléger » la richesse des arrangements - il suffit pour s’en convaincre d’écouter « La java du concessionnaire ». Derrière des paroles racontant, dans un style très années 50, les mésaventures d’un automobiliste aux prises avec un garagiste peu scrupuleux, la musique est un hommage au musette où Bensusan renonce temporairement au jeu legato qu’il affectionne souvent pour se concentrer sur une harmonie riche et précise, embellie de subtiles ornementations et d’une ligne de basse exigeante. Le disque se clôt également sur une chanson, « Les places de liberté », qui aborde le paradoxe actuel de la France tiraillée entre sa tradition d’accueil et sa plus récente tendance au rejet de l’autre ; on y retrouve tous les invités, dans une approche orchestrale riche et dynamique, comme sur l’album Spices.

Le rôle privilégié du chant sur cet album n’a finalement rien d’étonnant : d’une part parce que Bensusan a toujours chanté une poignée de titres sur tous ses albums (hormis Intuite), que ce soit des textes ou du scat ; mais surtout parce qu’il faut y voir un musicien ayant un univers musical à exprimer plutôt qu’un simple guitariste, si virtuose soit-il. De ce point de vue, l’instrument tout comme la voix sont des media permettant de révéler un monde intérieur.

par Arnaud Stefani // Publié le 14 avril 2011
P.-S. :
  • prochains concerts : sur le site de Pierre Bensusan
  • DADGAD Café interprété en concert : sur youtube