Chronique

Rémi Charmasson

Manœuvres

Label / Distribution : Ajmi Series

Avec un batteur solaire accompagnant « un quartette à cordes », selon la juste expression de Philippe Carles, Manœuvres est la dernière aventure discographique en date du Provençal Rémi Charmasson.

La tête dans les étoiles, il nous fait partager sur des milliers de « miles » un road-movie dans l’ouest le vrai, un « Into the Wild » dont on suit les différentes étapes, sans le dénuement et dénouement extrême du film de Sean Penn.

Puisant dans une connaissance infaillible de l’Amérique profonde, le guitariste et ses complices jouent pour et avec les fantômes des « Dharma Buds », sur la route, la « Highway 61 Revisited » de Dylan. Ils ne pouvaient qu’être sensibles à la voix de Jim Harrisson, le poète du génocide indien, le fermier du Nord Michigan que nous fit connaître le remarquable éditeur Christian Bourgois et son fidèle traducteur Brice Matthieussent. C’est aussi tout l’univers de Charmasson qui se décalque en arrière-plan : la nature, les grands espaces, la pêche et la randonnée, la fraternité de jeu. S’il demeure fasciné par le mythe américain, il ne perd pas ses repères sudistes, ancré dans son terroir, comme le souligne très justement Jean-Paul Ricard, qui produit l’album pour le label d’Avignon, Ajmiseries. Non seulement les deux homme se connaissent très bien mais Charmasson a pu rencontrer très tôt, autour du foyer créatif de l’Ajmi, des Américains du jazz, noirs ou blancs, du saxophoniste Joe Mc Phee au clarinettiste Jimmy Giuffre.

Le guitariste dresse le portrait de « son » Amérique rêvée, littéraire, cinéphilique et musicale, une création imaginaire qui correspond en bien des points à notre vision d’outre-atlantique, nourrie depuis le plus jeune âge des souvenirs de films, de poèmes et de couleurs d’expressionnistes abstraits ou lyriques. La musique que compose Charmasson traduit l’âpre beauté, la sauvage grandeur du « wilderness ». Ses grandes manœuvres l’entraînent dans une configuration originale, avec une utilisation parfaitement contrôlée des deux guitares, la sienne toujours délicieusement rock, et celle de Philippe Deschepper sculptant l’espace des sons à la manière d’un plasticien. Eric Longsworth, le violoncelliste canadien, nous entraîne souvent sur le versant folk, ou country rock (« De l’autre côté », « Manoeuvres) » alors que la paire d’as, Claude Tchamitchian et Eric Echampard, assure une rythmique aussi efficace que poétique.

Le jazz est abordé sans parti pris, au même titre que les autres musiques fondatrices de l’américanité (folk, country, blues et rock). La guitare recrée les images du genre tout en les déplaçant, les contournant, selon une perspective autre, tout aussi marginale. L’ensemble, à la hauteur du mythe, saisit - il recrée une fresque poétique et réaliste, nostalgique aussi : lyrisme sans sensiblerie, puissance et finesse.

Cet album est la bande-son possible d’un voyage vers un Ouest désespérément vaste. Si l’on pense à l’errance guidée de la slide de Ry Cooder ou au chant de la « prairie perdue » de Bill Frisell, la guitare de Charmasson, tout en revisitant ce folklore légendaire, affole la musique des pionniers. Ce Frenchie et ses copains ont su s’approprier cet espace. Parfois, les Européens, tel Wim Wenders dans Paris, Texas savent vraiment de quoi il retourne. Une image réfléchie, un retour aux sources, en quelque sorte.