Chronique

Simon Moullier

Isla

Simon Moullier (vib), Lex Korten (p), Alexander Claffy (b), Jongkuk Kim (dms).

Label / Distribution : Autoproduction

Pour ce nouveau disque sous son nom, tout se passe comme si Simon Moullier, vibraphoniste d’origine nantaise établi à New-York, avait trempé ses lames dans les embruns d’une île au large de la Bretagne, les faisant sécher au gré des éclaircies qui ne manquent pas d’y advenir. Le sinistre confinement de 2020 l’avait conduit à quitter Big Apple et à retourner dans sa maison d’enfance insulaire pour composer de nouveaux thèmes. Dans cet environnement familier, il esquisse des thèmes qui doivent autant aux recherches harmoniques et mélodiques d’un Wayne Shorter (influence revendiquée), qu’à un sens de l’espace orchestral des plus ellingtoniens - une reprise de « Moon Mist » de Mercer Ellington, le fils de Duke, est d’ailleurs présente sur le disque.

De retour à New-York, il retrouve Jongkuk Kim, présent à la batterie sur ses deux précédents albums : pour un vibraphoniste, dont la gestuelle a quelque chose de percussif, la complicité éprouvée avec un batteur est essentielle, a fortiori quand ce dernier ne dédaigne pas la dimension mélodique de son instrument, comme c’est le cas ici. Il s’est adjoint les services d’un pianiste flamboyant, Lex Korten, avec qui les assemblages dépassent les horizons tracés par la paire Milt Jackson / John Lewis à l’époque du Modern Jazz Quartet, entre unissons fugaces, éloignements furtifs et dialogues poétiques.

Esquivant tout maniérisme, le leader se plaît à jeter le trouble dans ses propositions, instillant des notes inattendues qui fleurent bon leurs coltrane changes [1], voire les impuretés du chant d’une Billie Holiday. Il capitalise ici son expérience de sideman particulièrement recherché sur les scènes étasuniennes par un art subtil du contrepoint. Entre spiritualité à la façon d’un Bobby Hutcherson dès le trois-temps d’entame et sensualité irrévérencieuse (comme le prouve une version boléro de « You Go To My Head »), ce disque confirme, si besoin en était, que le leader est plus qu’un vibraphoniste.

Simon Moullier devient un musicien emblématique d’un jazz contemporain aux atours naturels, conscient de ses racines et semant des ferments d’avenir résilients.

par Laurent Dussutour // Publié le 25 juin 2023
P.-S. :

[1Ces substitutions d’accords qui ouvrent des voies mélodiques inédites furent d’ailleurs expérimentées par le saxophoniste sur l’album Bags and Trane (1961), Bags étant le surnom du vibraphoniste Milt Jackson.