Scènes

Tigran voyage en solitaire

Nancy Jazz Pulsations – Chapitre 3. Vendredi 13 octobre 2017, Salle Poirel. Tigran Hamasyan.


Tigran Hamasyan © Jacky Joannès

De retour à Nancy Jazz Pulsations après son concert solo à l’Opéra de Lorraine en 2011, Tigran Hamasyan est venu exposer ses rêves dans un autre lieu historique de la ville, la Salle Poirel.

En 2010, Tigran Hamasyan avait enregistré un disque solo ayant pour titre A Fable. C’était en 2010. L’année suivante, le pianiste était l’une des têtes d’affiche de Nancy Jazz Pulsations, lors d’une soirée à l’Opéra de Lorraine partagée avec la chanteuse Youn Sun Nah. Soit une occasion privilégiée pour lui d’entrouvrir la porte de son imaginaire et de faire vivre une musique dont les mélodies, inspirées de son Arménie natale, reflètent « des observations musicales du monde dans lequel nous vivons et du poids de l’histoire que chacun de nous porte en lui ». Ainsi énoncé, le propos pourrait effaroucher, tant il est vrai qu’il n’est pas forcément aisé d’entrer dans l’intimité d’un musicien aussi en prise avec des réalités qui peuvent s’avérer tragiques. L’histoire de son pays l’a prouvé. Mais Tigran Hamasyan est un romantique, avant tout.

Six ans plus tard, le voici qui revient pour une nouvelle aventure en solitaire qui a pour nom An Ancient Observer, disque publié chez Nonesuch Records au printemps dernier et c’est un peu comme si le temps s’était arrêté pour le public qui le retrouve, inchangé. Tigran Hamasyan, timide et heureux à la fois, entre sur scène sur la pointe des pieds, un mug de thé à la main. À côté de son piano, un clavier et de quoi pimenter au besoin la musique de quelques effets électroniques. Dont il n’abusera pas, limitant le recours à ces auxiliaires du design sonore aux premières minutes du concert et son introduction chantée presque religieuse (« New Baroque 2 »). Comme sur le disque, la prestation du pianiste alternera thèmes écrits (tel le très beau « The Cave Rebirth ») et longues séquences improvisées qui sont pour lui comme des propositions de voyages intérieurs. Et c’est à la manière d’un Brad Mehldau qu’il s’emparera d’un thème connus de tous, « Someday My Prince Will Come », pour le décortiquer longuement jusqu’à en extraire les derniers sucs mélodiques. Avant de revenir pour un long « rappel » et une ultime exploration où alternent une mélodie suspendue et de brusques accélérations.

Tigran Hamasyan © Jacky Joannès

Tigran Hamasyan est un musicien de la fusion : pas seulement en ce qu’il semble se consumer sur scène lorsqu’il joue, mais aussi parce qu’il sait faire siens pour les intriquer subtilement des styles appartenant à l’histoire de la musique et au folklore de ses origines. Une sorte de baroque romantique qui ne rechignerait pas à se glisser dans la peau d’une human beat box, un homme orchestre qui ponctue en permanence son jeu de percussions vocales.

Tour à tour contemplatif et tourmenté, jonglant avec la virtuosité qu’on lui connaît au cœur de polyrythmies complexes et de mélodies poétiques, Tigran Hamasyan rêve un chant pour tous. Le public a su lui faire comprendre qu’il l’avait suivi sur son chemin onirique.

Sur la platine #NJP2017 : An Ancient Observer (Nonesuch – 2017)