Chronique

Upanishad Experiences

Samy Thiébault

S. Thiébault (st, comp & arr) ; J.-Ph. Scali (saxs) ; D. Mandin (sb) ; J. Menniel (fl) ; J. Alour (tp, bugle) ; C. Lebrequier (cor) ; J. Edwards (tb) ; B. Stil (tuba) ; A. Chicot (p) ; S. Hubert (b) ; R. Vignolo (d) ; Jackie Berroyer (narr.)

Quatre textes patrimoniaux : Nietzsche avec des extraits du « Préambule » au Gai Savoir et Baudelaire pour deux poèmes des Fleurs du mal, « L’Albatros » et « À une passante » (« Un éclair… puis la nuit ! - Fugitive beauté »)… Décidément, le saxophoniste ténor Samy Thiébault, qui a beaucoup écrit pour le cinéma et le théâtre, qui fut remarqué il y a quelques années en quintet pour son Gaya Scienza (le « Gai Savoir », déjà !), mais qui est aussi diplômé en philosophie, n’a pas choisi la facilité.

Sur ces Upanishad Experiences, enregistrées cette fois avec un roboratif « Large Ensemble » (onze musiciens + plus Jacky Berroyer en neutre et élégant récitant) on identifie illico une révérence absolue pour Coltrane : chaque arrangement semble dicté par le maître, le son est dûment chaleureux et cuivré… on sent derrière chaque poème de longues écoutes solitaires d’Africa/Brass ou de Olé !. Toutefois, à aucun moment il ne s’agit ici de singer le maître. Tout est dans le titre, d’ailleurs : un upanishad, est une glose sacrée du Veda hindouiste, le mot signifiant littéralement « Venir s’asseoir aux pieds du maître ». Les poèmes sont ici des moments aériens qui permettent à Thiébault de poser son propos, de le contextualiser en lui donnant le verbe comme point d’ancrage. Il met ici à profit un orchestre rompu à ce genre d’exercice et qui, doté d’excellents improvisateurs (dont la paire fondamentale Adrien Chicot au piano / Rémi Vignolo à la batterie), donne corps aux textes en déployant toutes ses possibilités. Ces derniers se subdivisent çà et là en thèmes récurrents, avec des arrangements plus développés sur les textes de Nietzsche.

Notons sur le beau « Troisième mue » qui ouvre l’album le remarquable travail sur les timbres des sept soufflants, parmi lesquels s’illustrent le trompettiste Julien Alour et le tubiste Bastien Stil (membre du « Tous Dehors » de Laurent Dehors). Mais le cœur et le pivot de ces Upanishad Experiences demeurent les deux poèmes centraux : grâce au superbe flûtiste Joce Menniel (membre de l’ONJ - Daniel Yvinec) « L’Albatros » retrouve sa légèreté marine ; il est suivi de près par la contrebasse fluide de Samuel Hébert pour une vraie réussite d’écriture. Quant à « Puis la nuit », beau travail collectif qui porte le poème, on sent l’enregistrement live en club.

Upanishad Experiences aurait pu être une tarte à la crème un peu pompeuse sous le luxe un peu factice des poèmes et du line-up. L’humilité de Thiébault, la qualité de son écriture et l’exercice de style permanent en font pourtant un agréable album et témoignent une fois encore de la vigueur de la jeune scène hexagonale.